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que de la science ; ce sont ou des exercices de mémoire, ou des amusemens et délassemens, ou enfin des études d’utilité pratique ; elles n’ont de valeur éducative que par leur côté poétique et philosophique, et c’est celui dont on ne s’occupe pas.

Le troisième défaut que doit éviter l’enseignement des sciences, c’est ce qu’on nomme le particularisme, qui confine chaque science dans son domaine spécial, sans la relier aux autres et sans s’élever à des vues synthétiques. Tel qu’il existe aujourd’hui, notre enseignement de sciences à la fois multiples et isolées est une seconde tour de Babel ajoutée à celle des professeurs de langues anciennes et modernes, d’histoire ancienne et moderne ; chacun y fait son cours en son idiome propre, et c’est, en définitive, une série de spécialités qui se déroule pour l’élève. Les connaissances qu’on fournit ainsi aux jeunes gens sous une forme fragmentaire, détachées entre elles, n’ont plus ni leur consistance scientifique, ni leur vertu éducative. Comme nos facultés intellectuelles poursuivent l’unité des principes, ainsi nos facultés morales poursuivent l’unité des buts divers dans le bien. Si l’instruction n’est pas ramenée à une unité d’où sorte la conception des grandes lois du monde et de la société humaine, elle néglige du même coup les fins idéales de la vie et ne peut plus faire servir la science à la conduite. Les diverses études scientifiques perdent donc, avec leur suprême vérité et leur beauté, leur moralité. Elles risquent de favoriser le même vice dont aujourd’hui sont atteints la littérature et les arts. Qui ne serait frappé, à notre époque, de ce qu’on appelle le « subjectivisme » des littérateurs, poètes, artistes et critiques, tout occupés de leur moi, de leurs impressions, de leur personnalité plus ou moins étroite ? C’est l’égoïsme dans la littérature, dans la poésie, dans l’art ; veut-on que cet égoïsme intellectuel pénètre à la fin dans la science même ?

L’abaissement d’esprit qui dérive de l’extrême division du travail s’étend à ceux qui sont destinés à éclairer et à instruire les autres. « L’esprit d’un homme est inévitablement rapetissé, dit Stuart Mill, l’essor de ses sentimens vers les grandes fins de l’humanité est misérablement entravé quand toutes ses pensées se tournent à la classification d’un petit nombre d’insectes ou à la résolution d’un petit nombre d’équations, comme quand elles sont toutes employées à fabriquer des pointes ou des têtes d’épingles. » Le « spécialisme, » propre à tout désagréger, est le défaut de trop de savans, qui, contrairement à leurs vrais intérêts, ont une aversion décidée pour les vues larges et philosophiques. Les particularités qui constituent leur entière occupation, les roues infiniment petites qu’ils s’emploient à faire tourner dans le grand