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pas, ils regardent, enregistrent et rédigent. Tout aboutit à aligner des notes, des phrases saisies au passage. Leur esprit n’en est guère plus développé, même sous le rapport scientifique. Mais le cours d’histoire naturelle ! Là enfin les élèves vont apprendre à observer, à connaître les choses, et par extension, comme l’a soutenu ici M. Blanchard, « les hommes. » Sténographions encore : — « D’après ce que nous avons dit dans notre dernière leçon du rôle que les liquides nourriciers remplissent dans l’économie animale et de l’influence que la respiration exerce sur les propriétés physiologiques de ces liquides, il est évident qu’ils doivent être le siège d’un mouvement continuel, afin que toutes les parties du corps reçoivent les matériaux nécessaires à leur nutrition. Ce mouvement constitue ce que les physiologistes appellent la circulation du sang. » — Nous prenons ici sur le fait la transformation de la méthode inductive et expérimentale en méthode déductive et dogmatique dans l’enseignement des sciences. Au lieu de nous raconter par quels prodiges de patience et d’intelligence on a découvert la circulation du sang, on nous dit : « Il est évident que le sang doit circuler, et, en effet, il circule. » On se borne à ajouter, d’ordinaire : « Ce phénomène était inconnu aux anciens ; la découverte en est due à Harvey, médecin du roi d’Angleterre Charles Ier (en 1618). » Ainsi résumé, ce lait, plus important qu’une bataille, reste un détail mort, un petit poids de plus dans la mémoire. « Chez les animaux supérieurs, la circulation a lieu dans l’intérieur d’un appareil très compliqué, composé : 1° d’un système de canaux ou de tubes nombreux, etc. » Suit une description minutieuse, avec pièces anatomiques à l’appui, et sans aucune de ces expérimentations qui sont le fonds de la physique. Les élèves regardent et tâchent de fixer dans leur mémoire les divers noms des artères, des veines, leurs définitions. Ils n’auront, ici encore, mis en œuvre d’autre faculté intellectuelle que leur mémoire, qui, tandis que leurs doigts inscrivaient machinalement sur le papier, aura inscrit non moins machinalement, dans les circonvolutions frontales, un certain nombre de faits et de mots. Après cela, certains savans souriront de l’élève qui fait des vers latins ou des thèmes. On peut cependant soutenir, sans paradoxe, qu’on développe plus l’esprit scientifique, c’est-à-dire l’esprit d’induction, de recherche, de divination, d’hypothèse, d’observation, de tâtonnement, d’ingéniosité et de patience (la patience de Newton) par l’étude de la grammaire et des lettres que par l’étude des sciences. Oui, pour analyser une phrase et en bien saisir le sens, pour traduire soi-même sa pensée en des expressions qui ne la trahissent pas, surtout s’il s’agit d’une langue ancienne, il faut induire, observer,