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Un savant professeur de chimie arrive dans sa classe : il va parler aujourd’hui de l’affinité. Les élèves prennent leur plume et attendent : « Pour expliquer l’union des corps simples différens dans une même molécule composée, il faut admettre l’existence d’une force qui les a d’abord portés l’un vers l’autre et qui a maintenu cette union lorsqu’elle a été effectuée. Cette force est appelée affinité[1]. » L’élève, sans rien comprendre à cette force qui maintient l’union des corps, écrit le plus rapidement possible une simple « définition de mots », qu’il s’agira de loger dans sa mémoire. — « Nous allons examiner les caractères de l’affinité et les principales causes qui la modifient. » L’élève écrit : Caractères, causes qui modifient. Pendant ce temps, le professeur continue : « 1° Pour que l’affinité puisse s’exercer entre deux corps, il faut qu’il y ait contact. Une expérience bien simple va nous le faire comprendre. » Pendant l’expérience, enfin, la plume se repose un peu. « Voici une dissolution aqueuse de baryte, et voici une baguette dont je trempe l’extrémité dans l’acide sulfurique. L’acide sulfurique et la baryte ont une grande tendance à se combiner pour former un corps blanc connu sous le nom de sulfate de baryte. » Nouveau nom à graver dans la mémoire. « Cependant, j’approche la baryte aussi près que je veux de la surface du liquide, et vous voyez que la combinaison ne s’effectue pas. Maintenant, je touche la dissolution de baryte. Dès qu’il y a contact, vous voyez le sulfate de baryte se produire. Il apparaît dans le verre sous forme d’une poussière blanche insoluble. » Les élèves regardent, et tout l’effort scientifique, toute l’induction, toute l’expérimentation consistent pour eux à constater la présence d’une poudre blanche au bout de la baguette. Certes, l’expérience est intéressante, amusante même, mais y a-t-il eu pour les élèves la moindre initiation aux méthodes qui ont fait découvrir les belles lois de l’affinité, les rapports philosophiques des forces entre elles, leurs merveilleuses transformations l’une dans l’autre ? Chaque expérience de physique ou de chimie, si ingénieuse qu’elle soit, est toute trouvée et réglée d’avance. Elle se développe comme une description devant des spectateurs absolument passifs. Ils ne seront pas des expérimentateurs parce qu’ils auront assisté à un spectacle d’expérimentations. Ils auront vu tourner la roue d’une machine électrique ; ils auront vu faire le vide dans une machine pneumatique ; ils auront vu une boule chauffée qui ne peut plus passer par l’anneau où elle passait d’abord, etc. Tout cela est bien, mais l’enseignement par l’aspect n’est pas l’enseignement par l’action, et nos élèves, ici, n’agissent

  1. Leçon sténographiée dans un grand lycée.