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HALLALI ! 271 De point en point, le programme fut exécuté. D’abord, le matin, par un temps de brume légère, rendez-vous des plus exquis : deux voitures pleines de dames ; sept ou huit veneurs bien montés, trois femmes à cheval, dont Marie-Made- leine; tout cela se mouvant, avec les chiens, les piqueurs et les valets, au milieu d’un brouillard diaphane, en un carrefour de forêt. Puis, dispersion pittoresque sur les routes qui avoisinent l’enceinte où le cerf a été rembuché et d’où il s’élance à travers bois, bondissant vers une clairière, aiguillonné par l’excitant tapage des trompes qui sonnent la vue et des chiens qui prennent la voie. Ensuite, chasse superbe, sans un accroc, sans un délaut, presque trop belle, comme une parade, les chiens toujours bien crians et groupés ou facilement rameutés, l’animal de meute souvent en vue, pour le plaisir des yeux. Quoi encore? Les abois, le cerf sur ses fins, malmené, faisant tête aux chiens... Enfin, l’hallali par terre, quand la bête est tombée, le jarret tranché, au milieu des chiens, qui bientôt la couvrent et la foulent. Le soir, au retour, curée froide à la lueur des torches et au son des fanfares, devant les hôtes assemblés du baron. Spectacle théâ- tral et goûté, un peu moins répugnant que la curée chaude, où souvent les cœurs de femmes défaillent, alors qu’on voit le valet de chiens agiter la tête du cerf à peine mort, ainsi que la nappe, c’est-à-dire la peau du vaincu, tout frais écorché, et dont les restes, encore tièdes, recouverts de cette peau, vont être livrés à la meute, un moment tenue sous le fouet. — Des heures se sont écoulées depuis la prise ; le souvenir du meurtre ne se ravivera pas. Il semble que ce ne soit plus l’animal que l’on a chassé, que l’on a vu en vie, dont peut-être on a rencontré le regard éperdu ; il semble même, — simple illusion, — que les chiens ne donnent pas de bon cœur dans la demi-charogne qui leur est offerte en régal. Cette carcasse refroidie paraît être là pour la montre ; et l’on pardonne aux chiens, aux veneurs... et à soi-même. Après la curée, grand dîner : habits rouges et épaules nues. Par conséquent, grand triomphe pour Marie-Madeleine, mais triomphe nullement cherché et qui ne parut lui causer aucun plaisir. On eût dit même qu’elle en souffrait. Tous ces regards la brûlaient, sans doute. Mais, qu’y faire? Il y a des femmes, voire des jeunes filles, qui ne peuvent pas se décolleter chastement ; la faute en est à leur structure, trop conforme aux bons modèles de l’antiquité et à l’idéal du dix-huitième siècle : elles ont la gorge haute. Marie- Madeleine attirait donc les regards, un peu trop pour son goût et pour celui de Frantz, — peut-être aussi pour le goût du baron. — Cependant, elle ne se contentait pas de triompher avec modestie : elle triomphait avec tristesse. Depuis quelques jours, une pensée