Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/274

Cette page n’a pas encore été corrigée

'26S REVUE DES DEUX MONDES. — On ne saurait davantage. — Mais qu’ai-je bien pu vous faire? — Vous m’avez vu, vous me voyez près de donner dans un tra- quenard épouvantable, et vous ne me criez seulement pas : Gare! ou : Casse-cou ! — Un traquenard? Casse-cou?.. Ah çà! si nous jouons mainte- nant aux propos interrompus, ou si votre discrétion consiste à m ’interloquer, il faut le dire. — Vous voulez que je m’explique? Voici. Vous êtes une obser- vatrice de premier ordre. Vous savez donc parfaitement que je me suis mis en tête d’épouser une jeune personne qui est ici. Or, à qui allez-vous faire des révélations? A quelqu’un qui, pensant à vous beaucoup plus qu’à elle, n’a aucun besoin qu’on l’éclairé et le préserve. — Vous avez entendu, hier au soir? — Je n’ai rien entendu. — M. Lecourtois vous a répété?.. — On ne m’a rien répété. J’ai deviné : c’est mon métier, à moi, de deviner. — Eh bien! alors, qu’avez-vous besoin de mon concours? — L’art divinatoire ne s’exerce qu’en bloc. Et ce sont des dé- tails qu’il me faudrait. — Mais, mon bon monsieur, je n’ai aucune raison... — Pardon! Vous en avez une, au moins : notre discrétion. Vous avez perdu. Payez, exécutez- vous. — Ah, ah ! je comprends. Vous avez deviné tout simplement que, par bonté d’âme et charité pure, dans la crainte d’un aveu- glement toujours possible avec vous autres, je m’occupais de des- siller d’avance les yeux d’un ami. Après quoi, vous avez essayé d’obtenir de cet ami qu’il vous répétât ce qu’il tenait de ma bien- veillance. Et, comme vous avez échoué dans votre tentative, vous m’avez gagné, au billard, une réédition de ce que vous appelez, avez appelé ou appellerez tôt ou tard mes petites perfidies... Car il faut que vous soyez sérieusement amoureux pour avoir si bien à cœur de vous renseigner. Enfin, n’importe! C’est assez malin... pour un homme, ce que vous avez fait là. Cette façon plaisante d’extorquer des renseignemens sérieux à quelqu’un qui vous les refuserait, à coup sûr, si vous les lui demandiez sous une forme solennelle,., non, décidément, ce n’est pas encore trop bête. Et ça mérite une récompense. Je m’exécute donc, mais en trois pa- roles... Oyez : Mademoiselle,., mademoiselle votre amoureuse a plus d’un galant. C’est chez elle affaire d’habitude. Vous passerez peut-être au choix, mais vous ne passerez jamais à l’ancienneté... Du reste, c’est plus flatteur.