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IV.

Frantz, avec une curiosité passionnée, observait Marie-Madeleine et M. de Buttencourt. Il dissimulait, d’ailleurs, du mieux qu’il pouvait, son désir de surprendre un mot ou un geste qui trahît les résistances de l’une et les obsessions de l’autre. Mais il fallait toute la naïveté de l’amour, — naïveté dont les hommes les plus sagaces, les plus roués même, sont impuissans à se préserver tout à fait, — pour espérer que le baron, prévenu et défiant, allait bonnement compléter les informations de son hôte. Le châtelain de Rubécourt gardait sa mine la plus fermée, courtois avec les hommes, galant envers les femmes, mais de cette galanterie que le genre anglais a comme passée à l’empois en même temps que les grands cols raides d’outre-Manche, et qui, dès lors, n’a plus rien qui puisse compromettre celles à qui elle s’adresse. — Les invités présens étaient, au reste, en petit nombre : cinq ou six en tout, ce qui rendait les mystérieux colloques et les communications amoureuses d’une difficulté presque insurmontable, en tout cas décourageante.

Ayant acquis, au bout de deux jours, la certitude qu’il n’apprendrait rien par l’observation directe, M. Real se rabattit sur les voies détournées. Il chercha d’abord à savoir si Mme  de Buttencourt avait quelques soupçons touchant les variations du cœur de son mari. Mais, s’il lut promptement édifié à cet égard par l’indifférence même que l’on affecta de lui opposer, à lui, vieil ami, qui pouvait tout admettre, hors l’indifférence de la jeune baronne pour l’homme qu’elle avait épousé, cette force d’inertie à laquelle il se heurtait ne lui révélait rien de ce qu’il eût tant voulu connaître : l’âge et la gravité de la passion du baron. Elle ne lui révélait même pas, d’une manière certaine, que la baronne soupçonnât autre chose qu’une tendance générale à l’infidélité. Restait, outre Marie-Madeleine, qui était, elle aussi, trop sur ses gardes, les hôtes, les invités des châtelains. Ceux-là ne devaient pas être en défense. Et ils savaient peut-être quelque chose, — l’un d’eux tout au moins, ce jeune Edgar Lecourtois dont Hélène avait parlé à sa cousine comme d’un amoureux peu dissimulé.

Il l’était si peu, en effet, que, au moment même où Frantz concevait le projet de tirer de lui quelques éclaircissemens, il semblait en arrêt devant Marie-Madeleine, qui, solitairement, crayonnait sous un abat-jour.

La soirée commençait. Dans ce grand salon de campagne, — meublé avec une sévérité qui trahissait plutôt des prétentions à