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compagnie à Udine, où les officiers du roi Humbert ont voulu faire fête aux officiers de l’empereur François-Joseph. Malheureusement, tout ne s’est pas passé pour le mieux avec des populations qui en sont encore, paraît-il, à comprendre la grande politique ! Les habitans d’Udine, un peu surpris d’abord, ont fini par s’émouvoir, par s’ameuter et troubler les ovations préparées pour la réception des officiers étrangers. Tant il y a qu’il a fallu recourir à la police, disperser par la force les rassemblemens menaçans, et, en définitive, protéger la sûreté des officiers autrichiens, qu’on s’est empressé de ramener prudemment et courtoisement à la frontière. Si c’était une tentative combinée pour accoutumer les populations et les armées à se rapprocher, à marcher ensemble, elle a mal tourné. Ce n’est pas tout. Par une coïncidence curieuse, l’héritier de la couronne d’Italie, le prince de Naples, retournant en ce moment à Rome, après les brillantes réceptions qu’il a eues à Pétersbourg et à Berlin, devait passer par Dresde, Munich, Inspruck. Il a changé subitement son itinéraire et est rentré directement en Italie par le Saint-Gothard, comme pour éviter le territoire autrichien. Tout cela semble assez bizarre. Ce ne sont, si l’on veut, que des incidens sans gravité ; ils ne laissent pas d’être un symptôme. Concluons du moins que la réalité ne répond pas toujours aux apparences, que la diplomatie a ses troubles et même que les gouvernemens les plus prompts à multiplier les déclarations en faveur des anciennes alliances ne sont pas les derniers à chercher des alliances nouvelles.

C’est la continuation de la crise des rapports généraux de l’Europe. Elle ne semble pas près de finir, cette crise, assez difficile à saisir, à préciser et pourtant sensible partout ; elle pourrait plutôt s’étendre et se transformer en se compliquant d’élémens nouveaux, de combinaisons imprévues. Évidemment, l’empereur Guillaume II, le chef couronné du pays devenu le centre des mouvemens européens, le jeune empereur Guillaume suit ses idées à l’intérieur comme à l’extérieur. Il ne renonce pas au programme de politique populaire, de réformes sociales, par lequel il a inauguré son règne. Ces jours passés encore, il est allé visiter l’usine d’Essen, la grande fabrique d’armes et de canons de M. Krupp. Il a voulu tout voir, il a reçu une délégation des ouvriers et il leur a parlé en prince qui se croit appelé à réaliser le bien du peuple. Il s’est plu à déclarer qu’il ne se détournerait pas de la voie où il s’était engagé par ses rescrits. D’un autre côté, Guillaume II renonce sûrement encore moins à sa politique militaire, à l’extension de ses armemens, aux crédits qu’il a demandés au Reichstag et qui sont en ce moment même l’objet d’une discussion des plus sérieuses, où le nouveau chancelier, le ministre de la guerre ont à tenir tête à des adversaires comme M. Windthorst, M. Bebel, M. Richter. Les crédits finiront sans doute par être votés, non cependant sans avoir été vivement contestés, non sans avoir provoqué des manifes-