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chose ? Quelle prétention de vouloir soumettre l’univers aux exigences de notre logique ! Et quelle fureur enfin de concilier les incompatibles ? « Ni la contradiction n’est marque d’erreur, ni l’incontradiction marque de vérité. » La logique, dont on croit qu’elle ferait la beauté des systèmes, en fait plutôt le vice ; et mieux ils sont liés, plus on voit qu’ils s’écroulent promptement.

Mais, je ne vais pas m’engager, après M. Tarde, dans la discussion de ce problème purement métaphysique, et puisqu’il estime, pour sa part, que la science moderne a dissipé sans retour l’illusion de la liberté, il faut lui être reconnaissant d’avoir essayé d’établir la responsabilité morale sur un fondement moins ruineux et dans un sable moins mouvant. C’est même une méthode qu’on voudrait voir s’étendre. Si de certains principes sont nécessaires à l’existence de la société, comme celui de la responsabilité morale, et qu’ils reposent eux-mêmes sur des principes jugés faux ou douteux, je voudrais qu’au lieu de s’acharner à l’inutile défense des uns on s’efforçât de trouver une autre justification des autres. Nous reconnaissons, vous et moi, que tout homme est et doit être jugé responsable de ses actes ; mais vous niez le libre arbitre ; et moi, je ne puis souscrire à votre déterminisme ? Au lieu d’éterniser la controverse, laissons-la donc débattre aux métaphysiciens ; et cherchons ensemble, cherchons ailleurs un fondement nouveau de la responsabilité. Nous le trouverons sans doute ; et nous aurons trouvé la seule chose qui importe, — le reste étant presque aussi vain que les problèmes qu’agitaient nos scolastiques dans leurs disputes.

C’est ce fondement que M. Tarde croit avoir trouvé dans la similitude sociale et dans l’identité personnelle : je lui laisse ici la parole pour nous dire lui-même ce qu’il entend par ces mots : « En quoi doit consister la ressemblance des individus pour qu’ils se sentent responsables les uns envers les autres ? Est-il nécessaire qu’ils se ressemblent par les traits du visage, la conformation physique ou la capacité crânienne, le teint, les aptitudes physiques ? Nullement… Est-il nécessaire qu’ils apportent les mêmes appétits ? .. Non plus… Mais il faut que dans une large mesure, leurs penchans naturels, quels qu’ils soient, aient reçu de l’exemple ambiant, de l’éducation commune, de la coutume régnante une direction particulière qui les ait spécifiés, qui ait précisé la faim en besoin de manger des plats français ou des plats asiatiques, la soif en besoin de boire du vin ou du thé, le sentiment sexuel en goût de marivaudage mondain ou d’idylle champêtre, en amour du bal en France ou des « bateaux de fleurs » en Chine. Quand la société a ainsi refondu à son effigie toutes les fonctions et toutes les tendances organiques de l’individu, l’individu ne fait pas un mouvement, un geste, qui ne soit orienté vers un but désigné par la société. En outre, il faut