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sa faute, je veux dire par l’impuissance qu’il s’est à lui-même créée, quand encore il ne l’a pas cultivée, de travailler pour vivre, — si nous parlons ici du voleur, — ou de dominer ses passions, — s’il est question de l’assassin.

On voit l’intérêt de cette conclusion. Non pas du tout que l’on pût reprocher à l’école italienne, et généralement aux disciples de M. Lombroso, d’avoir désarmé la société contre le criminel. Au contraire, pourrait-on même dire ! et il semble qu’en fondant le droit de punir sur la nécessité de la défense sociale, renforcée de cette conviction que le criminel est incorrigible ou inguérissable, ils aient consolidé la sécurité publique, bien loin de l’ébranler. « Œil pour œil, et dent pour dent. » Puisque le criminel est un fauve, on le traitera comme tel ; puisqu’il est nuisible, on le mettra hors d’état de nuire ; et s’il n’y en a pas enfin, comme quelquefois, d’autre moyen que de le supprimer, on le supprimera. Ainsi fait-on d’un cheval vicieux ou d’un chien enragé : rien de plus simple, rien de plus expéditif, et rien de plus facile.

Mais, s’il n’est pas évident, le danger de la théorie n’est pas moindre. L’homme est toujours un homme pour l’homme ; et, ne pouvant pas faire de l’intérêt de quelques-uns l’arbitre de la liberté ou de la vie des autres, on n’en peut jamais faire le fondement de la justice. Si par exemple on retrouvait, ou si l’on croyait reconnaître chez un criminel d’occasion les caractères anatomiques, « l’oreille en anse » et les « longs bras, » du prétendu criminel de nature, il faudrait donc le traiter comme tel ? Et au fait, parmi les disciples ou les émules de M. Lombroso, j’en sais un qui l’a proposé. Ou bien encore, s’il convenait à une société d’inventer des crimes d’opinion, le crime « d’hérésie, » par exemple, ou celui de « contre-révolution, » il faudrait donc approuver la Terreur ou la révocation de l’édit de Nantes ? Inversement, si, comme on l’a vu dans l’histoire, une société croyait qu’il fût de son intérêt de limiter le nombre de ses citoyens, bien loin de frapper l’infanticide ou l’avortement, il faudrait donc les encourager ? Et, au fait, je sais un autre disciple du professeur Lombroso qui n’y répugnerait point. Ou encore, si, comme l’ont essayé quelques évolutionnistes, on réussissait à nous persuader que le génie est un élément perturbateur du bon ordre et même de la santé physique des sociétés humaines, il faudrait donc l’étouffer aussitôt qu’il paraît, et prévenir en ce point la nature, dont on nous dit qu’elle n’aime pas plus « l’homme de génie » que le « criminel » même ? Mais ce qui est plus grave encore que tout le reste, ce qui ferait rétrograder la société jusqu’à la barbarie quaternaire, ce serait si l’on lui faisait croire que, le criminel étant marqué pour l’être, elle n’a pas de responsabilité ni de solidarité dans son crime. Autant, en