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don Sylvain s’en plaignait : « Monseigneur vient d’imaginer un habit de chasse, que nous nous sommes fait faire. C’est un habit vert, avec boutons et passementeries d’argent. Le chapeau est de feutre, avec des plumes noires. La culotte est de nankin, avec de grandes bottes. Voilà le sixième uniforme qu’il me faut endosser depuis trois mois que je suis au service du prince. Son amour du pittoresque me coûte, de cette façon, déjà près de cent louis. Ce même amour du pittoresque nous transforme en maçons, en jardiniers, en arpenteurs. Nous bouleversons tout ici, murs, rivières, plates-bandes. A grand renfort d’écus, la Macra va couler à droite au lieu de couler à gauche. En serons-nous plus heureux ? »

Mais ce fut surtout pendant son séjour à Florence qu’on vit onduler dans tous les sens ce roseau qui rêvait et ne pensait point. Selon les hauts et les bas de son humeur, ce prince exilé se noie dans l’ennui ou s’étourdit par le plaisir. Il projette, par momens, de quitter l’Italie, d’aller faire la guerre au Turc ou de traverser l’Océan. « Mgr rêve tantôt d’Amérique et tantôt des grandes Indes. Nous discutons le plus sérieusement du monde, tous les jours, l’endroit où nous pourrions donner les plus belles estocades et nous faire le plus utilement casser les os. » Le lendemain, le vent a sauté. Il disserte, il moralise ; il n’entend plus s’occuper que de l’éducation de son fils et de donner au petit Victor de grands et généreux sentimens : à cet effet, il compose des Contes moraux ou consigne dans un immense album des proverbes, des maximes qu’il ramasse de toutes mains et compile avec fureur. Puis, de nouveau, le vent saute. Il a pris la terre en pitié, il ne travaille qu’à faire son salut, il se plonge dans les contemplations mystiques, dans les extases ; il a résolu de se retirer à la Trappe, et, quelques jours plus tard, il s’afflige de n’être pas né au temps de la chevalerie. Que ne peut-il, sa visière baissée, s’acheminer vers quelque château romantique, que lui ont montré ses songes ! Un nain annoncerait, en sonnant trois fois du cor, « la venue d’un chevalier à la taille gigantesque et à la moustache rabattue, signe d’un cœur soucieux. » Écoutez-le ; il est revenu de tout, les grandeurs humaines ne sont que fumée, il maudit son métier de prince, et cependant, pour posséder un jour la couronne qu’il méprise, rien ne lui coûtera. Charles-Félix et M. de Metternich peuvent lui faire leurs conditions ; il est résigné d’avance à tous les abaissemens.

Incohérence et contradictions, voilà son lot. Toute sa vie il se cherchera sans réussir à se trouver, et toute sa vie il jettera la plume au vent. « Les noires pensées de mon prince, écrit le clairvoyant Sylvain, ont heureusement leur dérivatif rose dans une demoiselle de compagnie que la grande-duchesse a fait venir de Dresde ; la pauvre fille m’a fait ses confidences ; je ne crois pas cependant l’avoir persuadée