Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tournure épaisse, à son geste décidé, à la lourdeur disproportionnée de ses extrémités. Le personnage n’était pas beau, mais n’était-ce pas le cas de trouver dans cette laideur même un moyen d’expression ? Est-ce pour dissimuler la laideur de cette tête que M. Lemaire l’a coiffée d’un grand casque à visière relevée dont l’ombre cache tout le haut du visage ? Un réaliste plus hardi eût au contraire accentué tous les traits disgracieux sous lesquels se cachait un si grand cœur, en les éclairant d’héroïsme. Ces trois statues, Gay-Lussac, Méhul, Du Guesclin, sont d’estimables ouvrages qui décoreront convenablement des places publiques ; mais il y manque la passion du sujet et la force de l’imagination.

Depuis quelques années, le goût des beaux monumens funéraires paraît de nouveau se répandre dans notre pays ; MM. Paul Dubois, Chapu, Mercié, Barrias, entre autres, ont montré ce qu’on pouvait mettre de poésie et de sentiment dans ces travaux. Le point difficile est toujours d’y bien faire ressortir, sans déclamation et sans sensiblerie, soit le mérite du défunt, soit la nature des regrets qu’il laisse après lui. Tous ceux qui ont parcouru les Campi santi d’Italie, surtout ceux de Gênes et de Milan, savent quel vaste champ peuvent offrir les tombeaux à l’imagination des sculpteurs. Si dans les nécropoles méridionales on rencontre plus d’une extravagance et plus d’une niaiserie, on y trouve aussi des figures d’une invention naïve ou ingénieuse, des scènes d’une agréable simplicité ou des allégories d’une poésie non banale, auxquelles ne manque, pour être des œuvres supérieures, qu’une exécution plus savante et plus sérieuse ou moins prétentieusement habile. Nos braves sculpteurs apportent, dans l’accomplissement de ces monumens, souvent destinés à disparaître dans le pêle-mêle de nos cimetières moins régulièrement disposés, la même conscience qu’ils mettent à préparer une figure pour un musée. Il est donc intéressant de les suivre dans cette carrière nouvellement ouverte à leur activité. Nous avons déjà vu comment, dans le Monument à Flaubert, M. Chapu a fait un chef-d’œuvre de sculpture, sans toutefois y montrer l’effort qu’on pouvait attendre pour exprimer la personnalité si particulière du romancier réaliste et archéologue. M. Barrias, dans son Monument du peintre Guillaumet, a trouvé la note juste, et le public l’a compris immédiatement. La biographie d’un peintre importe peu à sa gloire, et la postérité ne s’en soucie guère. Ce qui nous touche de lui, c’est son individualité d’artiste, le caractère général de son œuvre, la nature de son génie ou de son talent. La maquette en cire de M. Guillaumet a peut-être plus fait pour la réputation de ce vaillant artiste que l’exposition même de ses œuvres, à laquelle tout le monde n’a pu