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vigueur de raisonnement qui ne laissent rien à désirer[1]. Elle est aujourd’hui résolue ; le ministre de l’instruction publique s’est engagé solennellement à proposer aux chambres un projet sur les universités, et il n’est guère probable que les chambres refusent de l’accepter.

L’affaire est donc faite, ou presque faite. Quels en seront les résultats ? Le public ne l’aperçoit pas du premier coup et je crois bien qu’il n’est pas aisé de le lui faire comprendre. C’est que les effets de l’innovation qu’on prépare sont de ceux qui ne tombent pas sous les yeux, et qui se manifestent moins par des améliorations matérielles que par une sorte de bien-être moral dont le corps entier se ressent. D’ailleurs, ils ne se produiront que lentement et peu à peu, à mesure que les diverses facultés, prenant de plus en plus l’habitude de vivre ensemble, rayonneront les unes sur les autres. Jusque-là, nous ne devons pas nous attendre à des changemens subits et très apparens. La création des conseils généraux des facultés a déjà resserré les liens qui les réunissent ; en sorte qu’un des plus grands bienfaits qui puissent résulter des universités nouvelles a été obtenu en partie, avant même qu’elles n’existent ; de plus, je suis tenté de croire qu’elles possèdent à peu près les libertés qu’on peut aujourd’hui leur accorder. Comme elles n’ont pas, ou presque pas, de fortune particulière, et qu’elles ne vivent que des libéralités de l’État, il est difficile qu’on leur laisse le droit de régler leur budget comme elles l’entendent. Elles participent à la nomination de leurs professeurs en présentant au ministre une liste de noms parmi lesquels il doit choisir. Faut-il aller plus loin et leur permettre de les nommer directement elles-mêmes ? Je ne le pense pas. Les universités d’autrefois sont devenues trop souvent des coteries étroites et fermées, qui ne se recrutaient qu’en famille ; nous devons nous garder d’exposer les nôtres au même péril. Il n’y a pas de pire tyrannie que celle des médiocrités jalouses qui se coalisent pour étouffer une vérité qui les dépasse ou éloigner un talent qui les gêne. Une domination qui vient de loin et de haut vaut mieux, en somme, que celle qui part de bas et s’exerce de près. L’État ne me paraît pas disposé à se laisser dépouiller du gouvernement des facultés et de la surveillance des études ; je crois qu’il a raison et il me semble que les professeurs ne lui demandent pas d’y renoncer. « L’indépendance qu’il s’agit de donner, a dit le ministre, c’est simplement l’indépendance scientifique. » Celle-là, je ne crois pas qu’en ce moment personne

  1. Voyez la Revue du 15 mai. M. Liard vient de réunir les articles qu’il a donnés à la Revue sous ce titre : Universités et Facultés. J’ai emprunté à cet ouvrage les chiffres que je donne plus loin.