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vêtement « qui excitait l’envie des gentilshommes aux assemblées de danse. » Les dames et les demoiselles le trouvaient fort à leur goût. C’étaient toujours « ces friches dames de Montpellier, » dont parle Froissart, qui amusèrent tant Charles VI qu’il resta douze jours entiers dans la ville, « dansant et carolant toute la nuit, faisant banquets et soupers grands et beaux et bien étoffés. » Le bon Platter, qui avait le cœur tendre, n’aurait pas résisté à leurs prévenances s’il n’avait laissé chez lui une fiancée qui l’attendait avec résignation. Il la fit attendre pendant quatre ans, qui furent consacrés à étudier à fond la médecine. Il écoutait les cours de ses professeurs, il disséquait toutes les fois qu’il en avait l’occasion, il s’exerçait à distiller, il aidait son hôte à préparer les médicamens, il recueillait une foule de recettes que lui communiquaient ses maîtres ou ses camarades, il analysait les livres des grands médecins de tous les temps. Ce qui le soutenait dans toutes ses fatigues, c’était la pensée que, de retour à Bâle, il éclipserait tous ses rivaux. On lui disait qu’ils étaient fort arriérés. « La plupart purgeaient avec du séné, de la réglisse et autres recettes absurdes. Quant aux médicamens sérieux, comme ceux qu’on employait à Montpellier, point n’en était question. » Platter se flattait de faire mieux : dans ses rêves d’avenir, il se regardait comme le rénovateur de l’art médical dans son pays. « J’entrevoyais, nous dit-il, la possibilité de surpasser mes futurs collègues et d’introduire plusieurs nouveautés, le clystère, des topiques, enfin une foule de spécifiques excellens ; » et il ajoute : « Grâce à Dieu, c’est aussi ce qui est arrivé. » Enfin, au mois de février 1557, ses études étant terminées, il s’en retourna chez lui, mais, quoiqu’il allât retrouver son père et sa fiancée, il partit fort tristement. « A la pensée que je ne reverrais plus cette bonne ville, nous dit-il, mon cœur s’attendrit et mes yeux se mouillèrent de larmes. »

Quelques années auparavant, Montpellier avait reçu la visite d’un hôte bien plus illustre que le bon Platter. « François Rabelais, du diocèse de Tours, » comme il s’appelle lui-même sur le registre de la faculté, était venu y prendre ses grades. Quoiqu’il n’eût pas encore écrit Gargantua, ce n’était pas un écolier ordinaire. Il jouissait déjà d’une grande réputation de savoir ; aussi lui conféra-t-on le baccalauréat au bout d’un mois, et l’on dit que lorsqu’il monta en chaire, selon l’usage, pour expliquer les Aphorismes d’Hippocrate et l’Art médical de Galien, la foule se pressait à ses leçons. On a tant parlé du séjour de Rabelais à Montpellier qu’il ne me reste plus rien à en dire. Je ferai remarquer seulement qu’il interpréta Hippocrate sur le texte grec et non sur une traduction latine. C’était une nouveauté hardie, et M. Germain, qui a dépouillé tous