Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Guilhems, qui fut une des plus puissantes dynasties de nos contrées méridionales, sembla comprendre, par une sorte d’intuition naturelle, qu’on ne peut rien faire de mieux, pour la prospérité d’une école, que de lui donner la liberté. Celle de Montpellier venait de naître quand le comte Guilhem VIII s’engagea solennellement, par un acte officiel, « à ne jamais accorder à personne, malgré toutes les sollicitations et les prières, le privilège exclusif d’enseigner dans la faculté de médecine (ou de physique, comme on disait alors) parce qu’il serait injuste et impie qu’un seul homme possédât le monopole d’une science si excellente. » Ainsi tous ceux qui voudront enseigner, « quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, » en auront le droit, sans qu’on puisse le leur enlever : Qui regere scolus de fisica voluerint, ego plenam facultatem, licentiam et potestatem inde eis stabilitate dono et concedo perpetua. — Qui croirait qu’une charte si libérale soit datée de l’an 1130 ?

L’école de médecine de Montpellier est donc née sous d’heureux auspices ; cette liberté que lui accordait Guilhem VIII, on peut dire qu’elle en a joui presque jusqu’à la fin. Sans doute la bulle de Nicolas IV la plaça, comme les autres facultés, sous l’autorité de l’évêque, mais j’ai montré plus haut que cette autorité fut toujours assez légère. L’évêque institue les maîtres, mais ce n’est pas lui qui les désigne ; il se contente d’approuver le choix qu’on a fait sans lui. Il scelle et signe les diplômes, pour en garantir l’authenticité ; mais d’autres font passer les examens, et, quand l’examen est bon, il ne lui est pas permis de refuser le diplôme. Il surveille l’enseignement, mais de loin, et, parmi tous les documens rassemblés par M. Germain, je ne me souviens pas qu’il y en ait un seul qui nous montre l’évêque inquiétant un professeur sur sa doctrine ou sa façon d’enseigner.

Ce qui servit le plus à maintenir la liberté dans nos vieilles universités, ce qui les distingue surtout des facultés d’aujourd’hui, où le nombre des maîtres est fixe et limité, c’est que tous ceux qui avaient obtenu la licence y pouvaient faire des leçons. De là, une incroyable variété d’enseignement qui corrige en partie ce qu’avaient de sec et d’étroit les matières enseignées. Dans la Faculté des arts, dans le droit, dans la théologie, peu de maîtres le restaient toute leur vie : en général, ils ne faisaient que traverser l’école. Comme ils étaient tous engagés dans les ordres sacrés, dès qu’ils avaient conquis quelque renommée comme professeurs, ils étaient appelés aux plus hautes fonctions ecclésiastiques. Il n’en pouvait pas être tout à fait de même pour la médecine, et l’enseignement n’y conduisait pas aussi directement et aussi vite aux