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venait d’apercevoir lo baron, qui, au moment de. tourner l’angle 

des communs et de sortir de la cour, regardait en arrière avec une espèce d’inquiétude soupçonneuse ou d’étonnement maussade. — Alors, le jeune homme, posant un pied sur le socle d’un vase de marbre, eut l’air de redresser son éperon, qui était parfaitement en place, et de le reboucler avec soin, quoique l’ardillon lût à son cran. Puis il pénétra dans le vestibule, tendit l’oreille à un bruit de pas et à un froufrou de jupe qui se faisaient entendre dans un cor- ridor du premier étage, et, quatre à quatre, il gravit les marches du grand escalier de pierre. Parvenu à L’étage, il s’orienta et il se glissa doucement, par une porte entre-bâillée, dans la bibliothèque qui s’ouvrait vers l’entrée du corridor. Cette salle était la pièce classique réservée à l’étude, pour l’édi- fication des visiteurs, dans les châteaux respectables. Tout y sen- tait la convention, la déférence à l’usage ou à la mode, depuis les hautes et larges fenêtres sans rideaux, encadrées de lambrequins d’étoffe sombre à dessins anciens, qui empêchaient la lumière de venir d’en haut, mais ne protégeaient guère la vue contre la cru- dité du jour, jusqu’aux échelles roulantes dressées contre les ta- blettes inexplorées. Au milieu, une grande table de travail, avec une pile de gros livres; de chaque côté de la table, des sièges de bois sculpté. Dressée sur la pointe des pieds, pour atteindre à un rayon assez élevé, la personne que, sans doute, cherchait Frantz remettait en place un volume in-folio. Et c’était un joli tableau que cette jeune fille en costume de chasse chamarré, vert et amarante, avec le petit tricorne serti par le galon de vénerie sur ses cheveux châ- tains à reflets d’or rouge, qui se dressait ainsi contre une muraille de livres, dans ce décor sévère, la main gantée de daim et appuyée au dos parcheminé d’un rude et vieux bouquin. — Eh quoi! vous! mademoiselle Marie-Madeleine! fit M. Real en feignant la surprise. Madeleine, ou, — pour lui donner tous ses noms, — Marie- Madeleine Hart se retourna vivement, avec un mouvement de contrariété tout aussitôt réprimé. — Moi-même, dit-elle souriante. Cela vous étonne? — Mon Dieu, oui. je l’avoue... Que pouvez-vous bien avoir à démêler, en un pareil jour, en un pareil moment, avec les livres... avec des livres comme ceux-ci surtout, énormes, monstrueux? — J’étais à la poursuite d’un renseignement... scientifique. Voyez, j’ai déjà compulsé tous ces volumes. Elle désignait du doigt les livres empilés sur la table. M. Real sourit.