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œuvres de Kano, la mesure dans la fantaisie ; il leur manque aussi, et cela est plus grave, la justesse d’observation et la profondeur d’expression. Leurs courtisanes, sujet préféré des peintres de l’école, sont trop souvent d’adorables poupées ou simplement des patrons sur lesquels se drapent de chatoyantes étoiles. Lorsque l’expression n’est pas absente de leurs œuvres, les peintres de l’école vulgaire l’exagèrent, la déforment jusqu’à la caricature. On sent que, pour la plupart, la peinture est devenue un métier tout manuel, comme elle le devient aujourd’hui pour beaucoup de nos peintres. Que l’on voie, réunies dans une salle, un millier de gravures de l’école vulgaire : on ne pourra s’empêcher de trouver fatigant cet art, qui paraît si exquis et flatte les yeux d’un plaisir si délicat lorsqu’on se borne à en regarder quelques spécimens.

Ce n’est pas qu’il faille dédaigner la portée artistique de l’école vulgaire : elle a été plus féconde que les autres écoles, et peut-être plus riche en talons personnels. Mais elle nous paraît exactement au même rang, dans l’histoire de la peinture japonaise, que l’école des successeurs de Watteau dans l’histoire de la peinture française. Elle a été brillante et variée : mais ceux qui l’aiment le plus sincèrement ne peuvent s’empêcher de la considérer comme d’un art inférieur, et ainsi elle expie son insouciance de l’observation patiente et la médiocrité de son idéal.

Le principal mérite de l’école vulgaire est d’avoir produit Hokousaï (1760-1849) ; encore Hokousaï est-il sorti de l’école vulgaire à peu près comme Rubens de l’école italo-flamande des Floris et des Venius. Le maître dont il relève directement est Itcho, dont il a retrouvé le dessin mouvementé et expressif et la profonde gaîté. Mais en outre de ce qu’il doit à Itcho, toutes les qualités de ses grands prédécesseurs de toutes les écoles semblent s’être concentrées dans son fécond génie. Ses sourimonos et quelques-unes de ses gravures en couleur mélangent la grâce féminine de Soukénobou avec la sensualité hautaine d’Outamaro ; il sait peindre un coq, un chat, un cheval, avec plus de vie que ne l’ont su Naonobou, Okio ni Sosen ; ses paysages ont la réalité et la poésie de ceux des grands Kano ; la hardiesse de ses trouvailles aurait effaré le hardi Korin. La profondeur de sentiment des peintres primitifs renaît avec lui : que l’on se rappelle seulement l’inquiétante figure de déesse qui ouvre le premier volume des Cent Vues du Fouji, ou, deux pages plus loin, la figure sereine du vieillard bouddhiste qui jadis, exilé du Japon, était venu tous les jours, marchant sur les eaux, revoir la montagne sacrée. Et tous ces styles qu’il a résumés et conciliés, il les a tous vivifiés, promus à un degré supérieur de vérité artistique.