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valeur artistique de cette école célèbre : seule à peu près de toutes les écoles japonaises, elle n’est représentée dans les collections européennes que d’une façon très imparfaite. Les chefs-d’œuvre des trois premiers siècles, ceux qui lui ont valu l’admiration des critiques, restent pour la plupart conservés dans les palais du Japon. Jusqu’à quel point ce sont, comme on le prétend, des œuvres originales et personnelles, pleines de vie, de mouvement et de variété, c’est ce que nous ne saurions décider. Mais si nous en jugeons d’après les rares spécimens qu’il nous a été donné de voir, l’importance de l’école de Tosa nous paraît avoir été de courte durée. Par la force et l’abondance de ses traditions, par la singularité même de sa manière, cette école a de bonne heure entravé, plus que toute autre, le libre développement de la personnalité. Si l’on excepte Mitsounobou (mort en 1543), qui a été un réaliste d’une franchise et d’une science extraordinaires, les peintres de l’école de Tosa, depuis le XVe siècle, se sont tous bornés à exploiter avec plus ou moins de délicatesse les procédés et les sujets de leurs prédécesseurs. Aucun d’eux, pas même le célèbre Mitsuoki (mort en 1691), et son arrière-petit-fils Mitsuyoshi, ne nous donnent l’impression de génies originaux capables de concentrer, dans les limites des règles, une vie et une beauté particulières.

Ajoutons que le style même de l’école de Tosa n’est guère pour nous séduire. Les peintres de Tosa ont été, il est vrai, jusqu’au XVIIIe siècle, les seuls coloristes de l’art japonais ; mais leur coloris, avec ses tons gouaches et son placage de feuilles d’or, reste toujours brillant et sec, monotone, artificiel, à peine égal à celui des miniatures persanes dont M. Gonse le croit imité. Dans le dessin, un souci exagéré du détail, un maniérisme banal, un tel dédain de la beauté et de l’expression que les figures nous apparaissent tantôt comme de vilaines caricatures grimaçantes, tantôt comme des masques inanimés. Nulle science de l’anatomie ni de la perspective ; et, en revanche, un abus d’artifices enfantins, comme celui qui consiste à supprimer le toit des maisons pour en montrer l’intérieur. En somme, l’école de Tosa nous semble n’avoir été rien de plus qu’une école d’honnêtes artisans, et c’est ce qui explique la grande influence qu’elle a toujours eue sur les arts industriels. Il faut même reconnaître que, au point de vue décoratif, ses makimonos et ses paravens sont d’un effet très agréable. Mais la peinture japonaise peut prétendre à une autre valeur que celle d’un art de pure décoration, et c’est en dehors de l’école de Tosa qu’il faut chercher les monumens de sa grandeur artistique.

Nous croirions volontiers que la célébrité qu’ont gardée au Japon les peintures de l’école de Tosa tient surtout à la nature de leurs