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De plus, le moment est bien choisi pour entamer l’action, car l’opinion publique a aussi ouvert les yeux ; elle a reconnu que la protection à outrance des manufacturiers, aux dépens de l’agriculture, n’avait qu’un but, celui de conserver des commanditaires et des cliens électoraux.

Aussi le Puck (le diablotin), feuille satirique de New-York, frère siamois du Punch, de Londres, qui n’épargne guère ni les politiciens, ni les scandales, — et il a fort à faire en ce moment, — publiait-il, dans son numéro du 2 avril dernier, une de ces gravures coloriées de circonstance où le crayon américain excelle. A travers une vaste campagne apparaît, au second plan, un corps de ferme dont les toits et les murs sont bariolés de certificats d’hypothèques. Sur un grand poteau s’étale une affiche ainsi conçue : « Après faillite[1], ferme à vendre par le shérif, en paiement de sa dette. » — Sur le premier plan se dresse un fermier à haute stature, coiffé à la Buffalo, détachant de ses yeux un bandeau sur lequel sont inscrits ces mots : Leurre de la protection. Chacun de ses vêtemens, ses chaussures sont étiquetés de papiers blancs indiquant la taxe dont ils sont frappés ; mêmes étiquettes, dénonçant 45 pour 100 de droits, flottent attachées aux charrues et aux instrumens de culture qui encombrent la cour de la ferme. Le fermier, au regard courroucé, tandis que sa femme et son enfant pleurent à l’écart, menace et chasse du doigt M. Reed, le speaker actuel de la chambre législative, le représentant Mac-Kinley, dont les élucubrations fiscales agitent le négoce européen, et enfin le président Harrison, qui, tout rapetissé, emporte dans ses bras la plate-forme électorale de 1888, le programme des protectionnistes à outrance ; tous trois fuyant les imprécations de leur victime, au pas de course.

Ce tableau, d’allure fort vive, est aussi humoristique que conforme à la réalité : aussi a-t-il eu son heure de vogue, d’autant que sa publication, inspirée par le comité exécutif des fermiers fonctionnant à Washington, donnait le signal de l’ouverture des hostilités. La convention nationale se préparait en effet à entrer en scène : elle allait cette fois faire entendre sa voix au congrès.

Au sénat, la parole fut prise par un vétéran parlementaire du parti démocrate, M. Voorhees, ancien attorney et congressman. Le sénateur de l’Indiana prononça, ce jour-là, une des plus violentes philippiques qui aient jamais retenti dans l’enceinte de cette sage assemblée.

« Il y a tout à l’heure trente ans, s’écria l’orateur, que les

  1. La faillite aux États-Unis atteint aussi bien le fermier que les ministres du culte.