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l’académie de Paris, avec son élévation d’esprit, constate le mal, et récemment un des juges les plus éclairés du tribunal de la Seine, M. Guillot, déclarait qu’il ne pouvait y avoir aucun doute, que « l’augmentation de la criminalité chez les jeunes gens avait coïncidé avec les changemens introduits dans l’enseignement public. » Sur tous les points, que les radicaux le veuillent ou ne le veuillent pas, il y a donc quelque chose à faire, et ce quelque chose, c’est justement la politique qui répond à l’instinct du pays, à laquelle doivent s’attacher tous les hommes animés de la passion généreuse de replacer la France dans des conditions de sécurité politique et de grandeur morale.

Si ce n’était un certain état général de l’Europe, des rapports, des alliances, si ce n’était cet état toujours compliqué, toujours tendu, qui laisse tout craindre, on pourrait dire qu’il n’y a, pour le moment, ni indices, ni apparences de troubles prochains dans les affaires du continent. Des incidens des derniers mois il n’est resté qu’une impression assez pacifique qui se prolonge, le sentiment que personne n’a envie de précipiter les événemens ni en Orient, ni dans l’Occident. Le prince Ferdinand de Cobourg, à son retour à Sofia après ses promenades en Europe, a eu, il est vrai, un langage un peu indiscret. Il a affecté de laisser croire que la Bulgarie ne serait jamais abandonnée par l’Autriche, que l’Autriche ne serait jamais abandonnée par l’Allemagne, que l’appui de la triple alliance lui était assuré. Ce sont des propos de prince dans l’embarras. Le comte Kalnoky n’a sûrement pas trouvé à Friedrichsruhe le conseil de « s’engager à fond, » pour le bon plaisir du prince bulgare. L’Autriche n’est pas disposée à courir les aventures, et, entre autres bonnes raisons de ne pas se compromettre, de ne rien brusquer, elle a plus que jamais aujourd’hui ses embarras intérieurs. Les ministères qui dirigent ses affaires sont assaillis de difficultés croissantes. Le comte Taaffe a de la peine à se reconnaître au milieu de toutes les revendications slaves, tchèques, ruthènes, croates, italiennes, et malgré sa dextérité dans l’art de tout concilier, il est menacé de ne plus retrouver sa majorité ; mais c’est surtout à Pesth que les affaires ministérielles et parlementaires prennent depuis quelque temps un caractère des plus violens.

Déjà au printemps dernier la loi militaire avait été l’occasion d’une lutte passionnée, acharnée, qui du parlement passait dans la rue et était accompagnée de manifestations populaires. Depuis quelques semaines, cette lutte a recommencé plus ardente que jamais à propos du budget, et elle se déroule à travers les incidens orageux, les scènes violentes. C’est une sorte de duel implacable entre les chefs de l’opposition hongroise de toutes les nuances, M. Iranyi, M. Polonyi, le comte Gabriel Karolyi, le comte Albert Apponyi et le premier ministre, M. Tisza. Tout met les passions en jeu ; tout sert de prétexte pour renouveler l’assaut contre M. Tisza, contre le « régime Tisza » et