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rien fait de sérieux, et elle ne paraît pas bien pressée d’arriver aux affaires pour lesquelles on lui dit qu’elle a été élue. Elle ne se connaît pas elle-même, elle se perd dans les préliminaires. Tout, à vrai dire, est assez obscur dans cette masse parlementaire, où il y a peut-être plus d’instincts que de lumières. Ce qui en sortira, comment se dégagera une majorité, — si elle réussit à se dégager, — on ne le voit pas bien encore. Ce parlement est jusqu’ici un chaos mal débrouillé ; mais ce qu’on peut distinguer déjà, ce qu’il y a de caractéristique et de dangereux, c’est justement cet état d’esprit qui se manifeste chez bon nombre de républicains par la prétention de ne tenir aucun compte des vœux du pays, par le dédain des minorités, par la persistance dans l’arbitraire et les passions exclusives de la politique de parti. Ils se retrouvent après les élections tels qu’ils étaient avant ; ils ne sont sortis de cette crise ni instruits ni éclairés. Ils ont la majorité, ils le pensent, ils le disent ; ils se croient dès lors le droit de tout faire, de casser, d’invalider, d’exclure, d’interdire les portes de la république, de dicter la loi au suffrage universel lui-même.

Il est certain que cette vérification des pouvoirs à laquelle la chambre se livre depuis qu’elle est réunie serait un des spectacles les plus curieux s’il n’était si monotone et si fastidieux. Pourquoi les républicains valident-ils une élection et invalident-ils une autre élection dans des conditions absolument semblables ? Ils ne le savent pas eux-mêmes. Une chose est évidente, c’est qu’ils dépassent leur droit ; ils se font les juges, non plus seulement de la régularité d’une élection, mais des circonstances, des vivacités de polémiques, des conflits d’influences, de la composition d’une affiche, des moindres incidens d’une lutte nécessairement animée. Ils s’occupent sérieusement à supputer combien d’électeurs sont allés boire dans un cabaret et ont pu se laisser capter, le nombre de voix qu’il aurait suffi de déplacer pour que le candidat républicain fût élu. Bien entendu, ils ne calculent pas ce que représente de voix la pression officielle exercée à outrance par la légion des fonctionnaires, juges de paix, percepteurs, cantonniers, facteurs mis en campagne. Le fait est que tout ce qui sert une candidature officielle est légitime et que la plus simple parole d’un curé suffit pour vicier une élection !

C’est l’arbitraire dans toute sa naïveté. Et où en arrive-t-on ? On en vient à procéder par une sorte de jugement discrétionnaire, intéressé, de parti, comme dans cette élection de Clignancourt dont on a certainement d’ailleurs exagéré l’importance. Il n’y avait, après tout, rien d’extraordinaire dans cette élection, et le mieux était d’agir simplement, franchement. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, qu’on l’avoue ou qu’on le dissimule, M. Boulanger a eu près de 8,000 voix, tandis que son concurrent, M. Joffrin, en a eu 5,000. M. Boulanger, condamné