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de la lumière électrique, de la figuration et d’une mise en scène qui fut, dit-on, pittoresque. Elle aura même été émouvante, et l’œuvre a dû bénéficier de l’enthousiasme auquel ne pouvaient échapper des milliers d’auditeurs réunis dans un théâtre de circonstances, et de circonstances flatteuses pour notre fierté nationale. On aura acclamé par amour du pays, sinon par amour de l’art, une œuvre que l’auteur semble avoir composée en patriote plutôt qu’en artiste.

Mais au Châtelet, plus d’appareil national, plus de drapeaux, de décors ni d’uniformes ; tout le cortège assis, et rien n’est plus nuisible à l’effet d’un cortège. La dame chargée de chanter la conclusion a eu beau lancer les grands mots de travail, de gloire et de liberté ; elle avait quitté le peplum tricolore et le bonnet phrygien. Les choristes étaient immobiles et vêtus de noir. Alors,.. alors nous sommes restés froids et nous n’avons pas entendu, au fond de nos âmes, la voix du sang, du sang de France. Nous n’avons entendu qu’un vacarme terrible, comme si toute la section des cuivres à l’Exposition (vous rappelez-vous cet amas de bassines et de chaudrons rouge et or ? ) s’était mise à hurler en l’honneur de la patrie. A quels excès se porte le zèle, non pas, comme disait Voltaire, de la dévotion, mais du patriotisme chez les dames ! Du moins à quels excès de sonorité !

Si l’Ode triomphale nous a paru trop bruyante, la faute en est un peu au local ; mais, et je crains cette fois que la faute en soit à l’œuvre même, elle nous a paru un peu vulgaire aussi. On nous dira qu’il ne s’agissait pas de distinction. Nous le savons et nous n’attendions pas un nocturne. Mais point n’était besoin de frapper si fort. De Mme Holmès, les petites compositions parfois sont exquises ; mais les grandes ne sont trop souvent que grosses ou vides. Même quand on y trouve du Massenet (ce qui arrive), c’est du Massenet épaissi ; du Massenet encore féminin, mais pour femme géante.

La page qui nous a laissé la meilleure impression est le chœur des ouvriers, aussi franc et moins trivial que les autres. Voilà. L’accent et l’allure que nous aurions souhaités à l’ensemble. Le reste est seulement national et décoratif, un peu dans le style des personnes opulentes et crénelées qui siègent sur les édicules de la place de la Concorde. Mais que de bruit ! Je ne crois pas qu’une dame, excepté Mlle Louise Michel, en ait jamais fait autant à propos de la République.

Nous avons eu chez M. Colonne des séances plus douces. M. Diémer y a joué on impeccable virtuose un concerto de M. Lalo, de grand style et de belle allure. Il comprend trois morceaux, dont les deux derniers surtout nous ont plu. Non pas que le premier soit indifférent. On y croit trouver ; parfois des réminiscences de l’hymne russe. Mais nous préférons de beaucoup l’adagio et le finale. Très noble, très pur, l’adagio repose presque tout entier sur un dessin continu de deux notes. L’idée