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garantie dans le présent comme dans l’avenir pour travailler paisiblement. Que voudrait-on de plus ?

Bien, ou du moins peu de chose. Uniquement qu’on nous dise enfin ce que c’est au juste qu’une mine. Le législateur de 1810, fidèle au mot d’ordre de Boulay de la Meurthe, n’a pas su nous la définir, — ou plutôt il l’a définie : amas, couche ou filon de substances minérales ; il l’a considérée comme une chose distincte, susceptible de faire, par elle-même et à elle seule, l’objet d’un droit. Cela est fort séduisant et naturel en apparence, étant donnée l’importance des gîtes métalliques, bien supérieure en général à celle des fonds de terre où ils se cachent. Mais les faits protestent. La théorie a beau vouloir dégager la mine de son enveloppe terrestre, il n’y a pas de fiction légale qui puisse aller l’atteindre à travers le sol. Il faut du terrain pour se frayer un passage jusqu’au gîte exploitable, du terrain pour pousser les galeries d’exploitation, encore du terrain pour déposer les déblais provenant des fouilles, du terrain toujours pour sortir les matières abattues ou extraites ; et tout ce terrain, probablement, n’est pas un bien vacant et sans maître. Quand on viendra dire au propriétaire du sol que la propriété souterraine est une création de la loi, il aura le droit de répondre que la loi ne l’a pas créée de rien. Avant de l’attribuer vierge à l’élu du gouvernement, il a fallu lui refaire d’abord une virginité, ou, plus prosaïquement, la « purger, » à prix d’argent, de tous les droits antérieurs.

Va pour le terrain, dira-t-on ; mais les substances minérales enfouies dans le sol et ignorées de tous échappent à l’appropriation privée ; — car un bien dont nul ne soupçonne l’existence, une chose sur laquelle personne n’a pu, même en imagination, jeter son dévolu, ne saurait appartenir à qui que ce soit. Elles demeurent donc à la disposition de la nation, dont aucun droit privé ne vient contrecarrer le pouvoir. Et comme l’individu qu’on en aura rendu propriétaire ne peut être empêché par le mauvais vouloir d’un voisin de jouir de sa chose, on lui accordera le droit d’occuper, moyennant indemnité ou redevance, les parties de la surface ou du tréfonds qui lui sont indispensables. C’est la théorie qu’on enseigne à l’école des Mines, et que M. Aguillon défend avec un talent incontestable. Nous ne voyons pas pourtant qu’elle ait conquis, jusqu’à présent, l’adhésion des jurisconsultes. Il y a, sans doute, un texte du code civil, — passablement obscur d’ailleurs, et généralement mal compris, — qui donne à l’État les biens vacans et sans maître ; mais la mine, jusqu’à ce que sa présence soit reconnue, la mine, en tant qu’objet distinct du fonds, n’est pas un bien, pas même une chose : ce n’est qu’une pure hypothèse, sur laquelle le droit n’a point de prises. D’autre part, comme elle n’échappe à la condition commune de la