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une évaporation ménagée, le lait écrémé dépose un résidu sensiblement moindre que celui du lait analysé après la traite.

L’écrémage, comme nous l’avons dit, augmente la densité du lait, et, loin de la rapprocher de celle de l’eau, tend plutôt à l’écarter de l’unité. En effet, la partie la plus légère du lait, c’est-à-dire le beurre, ayant disparu, l’influence de la caséine, matière assez lourde par elle-même, n’est plus contrariée comme auparavant, et le liquide pèse davantage.

La fraude n’est pas cependant difficile à reconnaître, même en l’absence d’un bon dégustateur. On peut se fonder sur la couleur : la nuance propre à la crème est si connue qu’elle a servi à désigner une teinte jaunâtre, fort à la mode, il y a quelque temps. Privé de sa crème, le lait présente un reflet bleuâtre. Vu l’absence de matières grasses, il est moins visqueux que le lait véritable. Le crémomètre, cela va sans dire, ne pourra fournir aucune indication avec un liquide appauvri. Mais de ce qu’il n’y a point de montée de crème, il ne s’ensuit pas forcément que le lait essayé ait été dépouillé de ses meilleurs principes ; on pourrait simplement avoir affaire à un lait naturel bouilli.

De l’écrémage au mouillage la transition est toute naturelle, d’autant plus que l’une des deux pratiques n’empêche pas l’autre. Baptisé trop souvent chez le fermier producteur, baptisé quelquefois par le « ramasseur » qui recueille et expédie à Paris les produits de plusieurs étables voisines, baptisé invariablement par le laitier ou crémier qui le vend en gros dans la ville, baptisé enfin par les marchands au détail, grâce à la « vache à queue de bronze » ou même grâce à l’eau des ruisseaux, le lait arrive à contenir jusqu’à 50 pour 100 d’eau ! Plus nombreux sont les intermédiaires, plus le liquide est aqueux ; il est facile dès lors de comprendre que le lait vendu pour quelques sous par les marchands ambulans a passé par beaucoup de mains et doit se trouver copieusement allongé. Néanmoins, même le petit laitier qui stationne sous une porte cochère est encore obligé de ménager ses modestes pratiques ; mais la cupidité humaine reprend tous ses droits si le marchand de lait abreuve une clientèle forcée dont les réclamations n’ont aucun effet. En d’autres termes, ce sont les adjudicataires de collège ou de pension qui fournissent le lait le plus mouillé. Il suffira, du reste, à ceux de nos lecteurs qui ont été élevés à Paris de faire appel à leurs anciens souvenirs de réfectoire ; ils ont dû remarquer autrefois la médiocrité de cet aliment, même dans les établissemens où la nourriture n’était pas, en général, mauvaise. Il va sans dire que le lait pur n’est pas plus introuvable à Paris que dans les autres grandes villes ; il suffit de le bien payer en