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liquide suffisamment crémeux, mais par trop doucereux. Effectivement, le lait soumis à la concentration est toujours, au préalable, mélangé d’une certaine dose de sucre de canne ; ce sucre, incorporé au résidu lacté, se dissout plus tard en même temps que lui. Quoique le sucre n’ait rien de malsain en lui-même, un lait sucré artificiellement convient beaucoup moins à un jeune estomac que la pure sécrétion des mamelles de la vache, parce qu’alors les élémens nutritifs sont exactement équilibrés entre eux sous l’influence de la nature elle-même. Ce serait donc une grave erreur de s’imaginer que dans les grandes villes où le lait vendu en détail est trop souvent falsifié, il soit avantageux d’avoir recours aux laits conservés pour nourrir les bébés[1]. Les farines lactées sont encore moins à recommander ; il faut à tout prix employer du lait pur et non autre chose. Mais il est clair que les conserves de lait, loin d’être à dédaigner, peuvent rendre de grands services aux voyageurs, surtout pour les préparations culinaires exigeant la présence du sucre ou entremets.


IV

Comme, au bout d’un certain nombre d’heures, le lait abandonné à lui-même dans une cave suffisamment fraîche se sépare spontanément en deux couches superposées, inégalement aqueuses, inégalement riches en beurre, la nature elle-même semble favoriser une fraude trop simple consistant à recueillir et à utiliser la crème et à vendre le lait écrémé sous la mention de lait, garanti exempt d’eau et de matières étrangères. Une pareille manœuvre doit tomber sous l’application des lois. Le lait, après écrémage, a perdu ses meilleures qualités, passe à l’état de simple résidu et n’est plus bon qu’à faire des fromages. Dans certains pays, la législation est sévère au point qu’il est interdit de vendre, sous quelque prétexte que ce soit, du lait écrémé, même en le qualifiant de son vrai nom. On a pensé probablement, et on a eu raison, qu’au début de la vente la mention « écrémé » serait nettement exprimée, mais que dans la suite elle disparaîtrait de l’enseigne.

Au point de vue nutritif, le lait écrémé n’est pas sans valeur. Ni la caséine, ni l’albumine, ni le sucre ne lui font défaut ; mais la substance grasse a été en grande partie éliminée, si bien que la perte relative dépasse les deux tiers du chiffre primitif. Soumis à

  1. A Zug, en Suisse, où l’on prépare d’énormes provisions de conserves de lait, on ajoute 120 grammes de sucre par litre.