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être d’aucun usage dans la pratique industrielle[1]. Une fois que les premières gouttes de lait ont nettoyé le pis de la vache, on interpose rapidement sous le filet blanchâtre qui jaillit du trayon l’extrémité ouverte d’un tube de verre fermé à l’autre bout. Ce tube doit être placé aussi près que possible du pis sans le toucher cependant. Un peu avant l’opération, le verre aura été chauffé pendant plusieurs heures à la température de 120 degrés, et jusqu’au dernier moment le tube doit être obstrué avec un tampon de coton stérilisé. Dès qu’il renferme assez de lait, on rebouche promptement.

Le liquide qu’on aura ainsi emprisonné se conserve en général sans altération intime. Toutefois son aspect extérieur se transforme insensiblement, les divers élémens du lait se séparant peu à peu. La crème surnage naturellement ; puis, au-dessous, la caséine s’amasse dans une couche transparente ; plus bas l’œil aperçoit une troisième zone à peine translucide, au sein de laquelle flottent des particules muqueuses de caséum en suspension. A la base du tube enfin s’est rassemblé un dépôt blanchâtre et opaque de phosphate de chaux précipité.

S’il fallait ajouter foi aux prospectus des fabricans, il suffirait d’ajouter une certaine proportion d’eau tiède aux laits concentrés que l’on débite en boites scellées pour obtenir instantanément un liquide aussi épais que le lait naturel sortant du pis de la vache et pour le moins aussi bon que lui, sinon meilleur. En réalité, il s’en faut de beaucoup que la pâte semi-liquide préparée au moyen de la concentration du lait pur puisse ultérieurement suppléer à celui-ci. D’abord, par suite d’une circonstance aussi fâcheuse pour le public que profitable à l’industriel, il est positif que l’opération réussit infiniment mieux avec du lait écrémé qu’avec un liquide riche en beurre. Ensuite la durée de la conserve n’est pas toujours aussi longue qu’elle devrait l’être théoriquement. Ce qui prouve l’imperfection des différens procédés que les inventeurs ont mis en usage, pour conserver le lait, c’est précisément le grand nombre de ces inventeurs et la multiplicité des méthodes prônées par chacun d’eux. Le consommateur se trouve en présence d’un dilemme impossible à résoudre : ajoute-t-il au sirop concentré la proportion d’eau que recommande le fabricant dans son prospectus ? il obtient un lait très clair, moins nutritif que le plus médiocre lait écrémé des villes, et cependant déjà trop sucré. Ménage-t-il l’eau ? il réalise un

  1. Il convient cependant de faire observer que des tentatives récentes ont été faites en Suisse pour obtenir la conservation du lait en le préservant de l’action des microbes à l’intérieur de boites scellées, sans dénaturer aucunement le liquide frais. Ces produits auraient, dit-on, obtenu beaucoup de succès à l’Exposition de 1889.