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s’effacent. Après avoir été autrefois très en honneur dans les Pays-Bas et avoir produit sous les ducs de Bourgogne des maîtres qui jouissaient d’une légitime célébrité, la musique était bien déchue de son ancienne splendeur. Tandis qu’en Allemagne la réforme lui donnait une vie nouvelle, elle se trouvait en Hollande à peu près réduite au seul chant des Psaumes. C’est en vain que Voëtius, à l’inauguration de la Haute école d’Utrecht en 1636, représentait cet art comme un don de Dieu et que Huygens s’appliquait à en relever l’exécution dans les temples protestans ; elle déclinait peu à peu, a ce point qu’on ne trouvait même plus dans tout le pays un seul imprimeur pour publier les productions musicales. Tout « en se mêlant de ce beau métier jusqu’à la composition, » Huygens s’excuse de « n’être qu’un roi borgne au milieu des aveugles[1], » et il est obligé de recourir à un imprimeur de Paris pour éditer ses ouvrages. On citait bien encore, il est vrai, à Leyde, l’organiste Cornelis Schuyt, auteur de plusieurs recueils de madrigaux ; à Harlem, le compositeur Albert Ban, dont Descartes dans ses lettres au père Mersenne discutait les théories, et à Amsterdam les trois générations des Sweelinck ; mais c’était à peu près tout. Si elle ne produisait presque plus de maîtres originaux, la musique du moins comptait toujours comme un passe-temps assez répandu. Les hôtes des tripots et les désœuvrés des compagnies galantes qu’ont représentés les peintres de société n’y prêtent pas, il faut l’avouer, une bien grande attention, et les exécutans avinés qui y figurent ne font guère que grossir le vacarme de ces réunions équivoques. De même, dans les tableaux de Ter Borch ou de Metsu, comme dans la scène du Malade imaginaire, la musique n’est souvent qu’un prétexte à de tendres propos entre le professeur et l’élève. Mais parfois aussi ces peintres nous montrent un jeune homme avec une guitare ou une basse, une jeune femme à son clavecin ou avec son luth, charmant leur solitude en jouant une gavotte, ou accompagnant quelque chanson française à la mode du jour : le Petit sot de Bordeaux, la Moutarde nouvelle, la Boisvinette ou Belle Iris.

Quant à la sculpture, elle compte à peine en Hollande. Cet art y est trop peu favorisé par le climat, par les habitudes ; il ne s’y accorde ni avec le parti-pris de réalisme qui domine en peinture, ni avec le rigorisme de la religion. Le choix des formes et les études du corps humain qu’il suppose, comment s’en assurerait-il le bénéfice ? Sans crainte d’un scandale public, il eût été bien difficile, presque impossible de se procurer des modèles, et quels modèles ! Les artistes revenus d’Italie avaient bien essayé de modifier à ce sujet les usages régnans, mais sans pouvoir de longtemps y

  1. Lettre à de Villiers, 20 octobre 1656.