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de tableaux destinés à orner les édifices religieux avaient cessé. Les princes de la maison d’Orange n’étaient pas non plus de grands protecteurs pour les arts, et Frédéric-Henri, qui commença à s’y intéresser, fut le premier qui s’occupa de bâtir, de meubler et d’orner ses palais. Encore ses goûts le portaient-ils plutôt vers les Flamands que vers ses compatriotes. C’est par Van Dyck qu’il voulait faire exécuter son portrait, et quand Amélie de Solms, la veuve de ce prince, se proposa dans la décoration de la Maison du Bois d’honorer la mémoire de son mari, elle se crut obligée d’associer aux peintres hollandais des artistes d’Anvers, comme Van Thulden et Jordaens, en attribuant à ce dernier la plus grosse part. Comme elle, les riches bourgeois et les lettrés inclinaient de ce côté. Huygens, Hooft, Vondel lui-même, ne voient rien au-dessus de Rubens, et aucun d’eux n’a compris Rembrandt, qu’ils ne nomment même pas dans leurs écrits. Comme s’il avait honte de le faire, Vondel se contente de le désigner dédaigneusement sous l’appellation de a fils des ténèbres. »

Avec les Flamands, les amateurs qui se piquaient de distinction préféraient collectionner des tableaux italiens ; c’était comme un brevet de supériorité en matière de goût qu’ils s’attribuaient ainsi. Les ouvrages des écoles italiennes étaient donc recherchés et assez abondans à Amsterdam dès le commencement du XVIIe siècle. Mais les connaisseurs en ce genre étant assez rares, les marchands qui faisaient ce trafic vendaient souvent des copies pour des originaux et il arriva plus d’une fois qu’après des fraudes pareilles ceux des artistes hollandais qui avaient séjourné en Italie furent appelés à vérifier leurs attributions fantaisistes, dans des expertises provoquées par les tribunaux. Ces italianisans étaient, au surplus, parmi les Hollandais le plus en vogue, ceux qui plaçaient le mieux leurs tableaux. Aux gens incapables d’apprécier le mérite de la peinture elle-même, ils offraient des sujets plus nobles, plus en rapport avec les traditions reçues et des épisodes historiques ou littéraires prêtant à des commentaires qui leur permettaient de faire parade de leur propre instruction. De même pour les paysagistes, ceux qui avaient été chercher au loin leurs inspirations étaient les plus goûtés. En regard des sites accidentés, des perspectives savantes, des ruines et des figures empruntées à la mythologie ou à la Bible qu’ils introduisaient dans leurs ouvrages, la nature hollandaise paraissait trop simple, trop humble pour mériter d’être reproduite ; pour ceux qui n’en comprenaient pas les beautés, c’était déjà trop de l’avoir sous leurs yeux. Comme toujours, du reste, les talens les plus vulgaires rencontraient des admirateurs parmi ces prétendus connaisseurs, qui, en fait d’art, apprécient surtout l’exécution polie et minutieuse à l’excès, les trompe-l’œil et toutes les vaines parades