Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour apprendre à connaître ce peuple au moment le plus glorieux de son passé.


IV

Le succès si répandu de ces écrivains parmi leurs compatriotes atteste le degré de culture auquel était alors arrivée la Hollande. Les universités qui y avaient été fondées contribuaient puissamment à cette diffusion : après celle de Leyde, établie en 1575, étaient venues celles de Franeker en 1585, de Groningue en 1614, et plus tard celles d’Utrecht, en 1636, et de Harderwyck en 1648. L’Ecole illustre, créée en 1630 à Deventer, avait servi de modèle à celle d’Amsterdam en 1632. C’étaient comme autant de foyers allumés à travers la contrée, dont l’éclat et la chaleur rayonnaient de proche en proche. Aussi, avec le temps, les mœurs s’étaient adoucies, et l’éducation que les enfans recevaient dans certaines familles pourrait être proposée comme exemple. Chez les Huygens, la distinction était en quelque sorte héréditaire. Constantin Huygens, homme d’état et poète satirique très remarquable, professait pour Corneille une telle admiration, que celui-ci lui dédiait, en 1650, son Don Sanche d’Aragon. Lui-même avait publié, en 1644, chez les Elzevier, une édition du Menteur, en tête de laquelle il mettait des vers latins et français de sa façon. Musicien plein de talent, il s’intéressait aux arts et devait, pendant de longues années, servir d’intermédiaire entre les artistes et la maison d’Orange. Malgré ses nombreuses occupations, il avait voulu diriger lui-même l’éducation de ses fils. Ces enfans, doués de facultés merveilleuses, avaient appris très jeunes le grec et le latin et montraient de grandes dispositions pour les mathématiques. On sait que Christian, le cadet, devait être un des premiers géomètres et l’un des plus célèbres astronomes de son temps. Il s’exerçait, non sans quelque talent, à la peinture, et, dans une lettre à son frère Louis, il lui dit qu’il a si fidèlement copié une tête de vieillard par Rembrandt, qu’il est difficile de discerner l’original de la copie (29 juin 1645)[1]. Quant à l’aîné, qui s’appelait Constantin, comme son père, et qui devait également, après lui, exercer les fonctions de secrétaire des princes d’Orange, il faisait pendant ses voyages des croquis à la plume pleins de facilité et d’esprit. Tous deux, d’ailleurs, devançant sur ce point Y Emile de Jean-Jacques, étaient en possession de plusieurs métiers manuels, et bons musiciens, danseurs et cavaliers accomplis, ils excellaient dans la plupart des exercices du corps. De bonne heure en contact avec les hommes

  1. Œuvres complètes de Christian Huygens. La Haye, 1888 ; M. Nijhoff.