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Malgré tout, Hooft exerce une influence considérable sur la littérature hollandaise, autant par sa haute position que par son talent et la noblesse de son caractère. Esprit tolérant, il compte des amis dans tous les partis, et nommé en 1609 bailli de Muiden, près d’Amsterdam, il ne cesse pas d’attirer, dans le château qui lui est assigné pour résidence, le cercle d’hommes distingués (Muider-Kring) qui a mérité un nom dans l’histoire littéraire de cette époque.

Vondel cependant l’emporte de beaucoup sur Hooft par l’originalité et la puissance de ses conceptions ; mais, si apprécié qu’il ait été par ses contemporains, pas plus que Rembrandt et Spinoza, il ne devait connaître le repos et la fortune, et après des épreuves nombreuses, il était, comme eux, destiné à finir dans la misère. S’il cherche à évoquer les souvenirs de la tragédie grecque, c’est que mieux qu’aucun autre en son pays il en a compris les beautés. Il n’y était cependant guère préparé par son éducation, car, élevé dans la boutique de son père, il s’est instruit lui-même, et à vingt-six ans il ne connaissait encore rien de la littérature classique. Mais plus encore que l’écrivain, l’homme apparaît dans les œuvres dramatiques de Vondel ; qu’elles soient inspirées par la Bible ou par l’histoire de la Hollande, elles sont bien l’expression de ses convictions politiques ou religieuses. Sans s’inquiéter des inimitiés qu’il soulève, il veut, avec une entière indépendance, servir ce qu’il croit la vérité et la justice. Aussi est-il poursuivi par les rancunes des fanatiques de tous les partis. Dans son Palamedes ou le Meurtre de l’Innocent, joué vers la fin de 1625, il flétrit avec une courageuse indignation les violences et les persécutions qu’engendrent les haines religieuses. Sous les noms des personnages grecs qui y figurent, ce sont en réalité ses contemporains, le prince Maurice, ses ministres et les meurtriers de Barneveldt, qu’il met en scène, et les allusions sont si nombreuses et si transparentes[1] que Vondel, mis on demeure d’aller se justifier à La Haye, est obligé de se réfugier déguisé chez des parens et des amis et ne doit qu’à l’intervention du magistrat d’Amsterdam de voir sa condamnation limitée à 300 florins d’amende.

Esprit fécond, Vondel découvre avec une sagacité extrême les sujets qui conviennent le mieux à la poésie : il compose son Hippolyte quarante-neuf ans avant la Phèdre de Racine ; en 1654, il donne son drame religieux le plus remarquable, Lucifer, auquel quatorze ans plus tard Milton empruntera plus d’un trait dans son

  1. Le nombre et la précision de ces allusions ont été relevés récemment dans une intéressante étude de M. J. H. W. Unger, Oud-Holland ; 1888, p. 51.