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sur d’autres ses moyens de défense, il est arrivé à les maîtriser et les contenir. Bien plus, en les mettant aux prises les uns avec les autres, il parvient à les faire travailler à son profit. Par sa vigilance, la mer reste suspendue au-dessus de ses plaines ; les côtes basses sont protégées contre elle, ici par de simples amas de fascines, là, aux endroits les plus vulnérables, par des digues gigantesques dont les blocs de granit arrachés au loin ont été amenés à grands frais et entassés par monceaux. Des canaux creusés de main d’homme assurent à l’eau des fleuves un écoulement, et des chasses établies leur donnent une profondeur suffisante pour permettre la navigation. Judicieusement réparties sur tout le territoire, ces grandes artères aquatiques deviennent les moyens de transport les plus économiques ; les plus petites servent de clôture aux propriétés, elles emprisonnent dans leurs pâturages les troupeaux qui se gardent ainsi eux-mêmes. Quant au vent, sa fureur est amortie et comme usée par une série de plantations ingénieusement combinées, entretenues avec soin pour résister à ses assauts. Ce sont d’abord des herbes chétives, repiquées une à une, puis des arbrisseaux rampans dont les racines fortement cramponnées au sol fixent peu à peu la dune. Derrière ces écrans méthodiquement disposés, croissent des végétations de plus en plus élevées qui se prêtent un mutuel appui, s’étagent et finissent par s’épanouir en magnifiques ombrages. Mais c’est peu d’avoir ainsi dompté les violences du vent ; le Hollandais a fait de lui un collaborateur toujours disponible. Des moulins innombrables guettent ses moindres souffles pour ébranler leurs grandes ailes et accomplir les tâches les plus variées : la mouture des grains de toute sorte, l’exhaussement ou le dessèchement des eaux, qui sont épuisées ou déversées dans les canaux voisins.

Dans ce pays qui tout entier est le produit du labeur humain, l’établissement des villes amène des problèmes plus compliqués encore. Le sol mouvant ne saurait supporter des constructions, pour lesquelles d’ailleurs la pierre fait absolument défaut. Des briques suppléeront à la pierre, et grâce à une forêt de pilotis profondément enfoncés et serrés les uns contre les autres, on obtiendra à force de travail et d’argent le fond solide sur lequel pourront s’élever des édifices considérables. On connaît le propos d’Érasme qui, parlant d’Amsterdam même, la signale comme une ville singulière « où les habitans vivent perchés sur des arbres, à la manière des corbeaux. »

On le voit, pour se procurer des biens et une sécurité que la nature a largement dispensés à d’autres contrées, il a fallu ici de longs efforts, un courage et une opiniâtreté prodigieux. Mais une