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Carlos au midi et don Philippe au nord) ne pourraient être réunies sur une même tête[1].

Vains efforts : les séductions comme les précautions vinrent échouer contre l’humeur égoïste et méticuleuse du cabinet piémontais. Charapeaux, reçu par le ministre Gorzegue, en secret et dans l’ombre, se mit inutilement, pendant les quatre jours qui lui avaient été assignés pour remplir sa mission, en frais de rhétorique. Au bout du cinquième entretien, un mémoire lui fut remis, reproduisant les mêmes considérations que Montgardin avait déjà été chargé de communiquer à Paris. Ce n’était presque pas la peine d’avoir fait tant de chemin. Même crainte de blesser le corps germanique et de réunir toute l’Allemagne contre soi, si on semblait contester des droits reconnus depuis des siècles au saint-empire, et sur lesquels étaient appuyés ceux de plusieurs princes italiens, le roi de Sardaigne lui-même ne possédant certaines parties de ses états qu’à titre de fief impérial. Ce serait faire une trop grande impression de nouveauté, et il n’était pas sûr, ajoutait le mémoire, non sans une nuance d’ironie, que la France elle-même eût à s’en applaudir, car les droits de l’empire sur l’Italie étaient reconnus en plusieurs endroits dans le traité de Westphalie, dont le roi de France était garant. Il semble donc que la France ait plus d’intérêt à conserver ce même empire dans toutes ses prérogatives que de l’en priver. N’avait-elle pas, à plus d’une reprise, cherché, et tout dernièrement encore, réussi à prendre part à l’élection de l’empereur dans un sens conforme à ses intérêts ? .. Il pourrait donc arriver tel cas où elle regretterait d’avoir diminué le bénéfice quelle procurerait à quelque prince qui lui serait uni ou d’alliance ou de sang.

Revenant à un argument plus sérieux, le ministre piémontais concluait en disant qu’après tout, ce qui importait à l’indépendance des princes d’Italie, c’était, non de contester le droit, mais d’affaiblir, en fait, la puissance de leur voisin, attendu que, dès que l’empire et son chef n’auraient plus de force en Italie, l’autorité qu’il pourrait y conserver ne se réduira plus qu’à une pure formalité et cérémonie, qui ne peut faire du tort et de la peine à aucun prince, et moins à ceux qui y sont accoutumés depuis longtemps. L’essentiel était donc de passer à la discussion des conditions effectives de l’alliance proposée et des avantages matériels que chacun en pouvait tirer. C’était le langage du sens pratique et de l’intérêt bien entendu, allant droit au solide, au lieu de se payer de paroles et de se nourrir de viande creuse[2].

  1. Rendu, p. 151 et suiv. — Mémoire remis par M. de Champeaux au cabinet de Turin en décembre 1745.
  2. Rendu, p. 157, 158.