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exclusion, qu’il pourrait plus aisément attirer la guerre en Italie qu’assurer sa sécurité, car le corps de l’empire, qui se réunirait tôt ou tard, ne voudrait pas souffrir une telle diminution : surtout l’acte qui est proposé à l’article 9 (la déclaration d’indépendance) abolirait tous les titres anciens et primitifs de la maison royale (de Sardaigne) et renverserait les lois fondamentales du pays. De plus, cet acte serait criminel et donnerait à perpétuité aux empereurs un droit légitime pour dépouiller le roi et ses successeurs[1]. »

Après une déclaration préalable de cette nature, qui ruinait le fondement même du projet français, il n’était pas besoin de discuter en détail les dispositions territoriales proposées. Aussi le mémoire se bornait à exprimer le doute que la prudente république de Venise (qui depuis le début de la guerre ne songeait qu’à se tenir à l’écart et à se mettre à l’abri de tous les coups) voulût se charger de l’odiosité et de l’engagement que lui donnerait l’acquisition de Mantoue contre le*gré de ses possesseurs. Enfin, et comme conclusion, « le roi souhaite sincèrement, était-il dit, la réconciliation avec la France… il sait que Sa Majesté très chrétienne la souhaite aussi ; mais, comme elle ne pourrait jamais se faire sans détruire en grande partie le système du projet dont il est question, Sa Majesté espère que la cour de France n’y insistera pas davantage, mais qu’elle voudra bien s’expliquer sur les autres points plus favorables qu’elle a fait espérer. »

On était donc très loin de compte ; mais d’Argenson, épris de la grandeur de son dessein, n’était pas homme à se décourager pour un premier échec, et Champeaux, déçu dans les espérances qu’il avait fait concevoir, ne voulait pas non plus se résigner à sa déconvenue. L’un et l’autre se persuadèrent aisément que, s’ils étaient mal appréciés, c’est qu’ils étaient mal compris, et qu’une traduction infidèle avait défiguré leur pensée. Champeaux offrit (et d’Argenson se prêt à facilement à ce projet) d’aller lui-même entretenir directement Charles-Emmanuel et son ministre de ce que le plan d’une confédération italienne avait de beau en soi et d’avantageux pour la dynastie de Savoie. La difficulté était de pénétrer en terre ennemie sans être reconnu et arrêté. De plus, il importait d’aller très vite pour que le dessein ne fût pas ébruité, et surtout qu’aucun indice n’en arrivât aux oreilles de la reine d’Espagne, qui ne pourrait manquer d’entrer en fureur à la seule pensée de se voir frustrée de la possession déjà presque acquise du Milanais et remuerait certainement ciel et terre, si elle était prévenue à temps, pour faire tout échouer.

  1. Carutti : Appendice. — Cette pièce n’est pas citée dans l’ouvrage de M. Rendu.