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et que personne de nous, j’en suis sûr, n’est tenté d’avoir pour la bonne renommée de Louis XV et de ses ministres. Que deviendrait la vérité historique, si elle devait à jamais rester voilée par des susceptibilités héréditaires de cette nature ?

En tout cas, jamais précaution n’aurait été moins avisée et n’aurait été plus directement contre son but. Que pouvais-je trouver, en effet, dans les documens émanés du souverain et des ministres piémontais, sinon la justification (présentée à leur point de vue) de leur conduite, et la réponse aux incriminations que je voyais portées contre eux dans les correspondances françaises ? C’était la défense que je voulais opposer à l’accusation. Je regrette qu’on ne m’en ait pas fourni les moyens, et qu’on ne m’ait pas mis en mesure d’atténuer moi-même la sévérité de mes appréciations.

Pour suppléer pourtant en une certaine mesure à ce qui m’était refusé, j’ai appelé à mon aide les correspondances des archives anglaise et autrichienne, le gouvernement britannique et celui de Marie-Thérèse ayant été, à cette époque, les alliés du gouvernement piémontais et devant par là même le juger avec plus de faveur que des ennemis comme l’Espagne et la France. Je n’ai pas besoin de dire que là, du moins, toutes les portes m’ont été ouvertes. M. le chevalier d’Arneth en particulier, le célèbre historien de Marie-Thérèse (à qui est confiée la garde des archives de Vienne), a bien voulu répondre, par une lettre toute de sa main, à une interrogation que je lui avais posée. Je suis heureux de lui en adresser ici tous mes remercîmens.


I

Il y a, pour une puissance engagée dans une grande guerre qui se prolonge, telle alliance dont les conditions deviennent onéreuses, à ce point qu’elle gène au lieu de servir, et que l’isolement absolu serait encore préférable. C’était le cas, au moment où ce récit est parvenu, de celle qu’un traité conclu à Fontainebleau, trois ans auparavant, avait établie entre le roi de France et le roi d’Espagne pour assurer la communauté de leur action en Italie. C’est à l’origine, déjà éloignée, de ce traité qu’il faut remonter pour bien apprécier le caractère d’un acte imprudent et excessif, dont les conséquences ne s’étaient jusqu’à ce moment fait que faiblement sentir, mais allaient exercer sur l’issue de la grande lutte européenne une influence très fâcheuse pour les intérêts de la France.

Le traité de Fontainebleau était, on peut se le rappeler, l’œuvre de Louis XV lui-même : c’était le monarque qui en avait personnellement réglé tous les détails et préparé l’exécution pendant le court intervalle de temps où, épris du désir de régner, il voulait tenir lui seul, dans ses propres mains, les rênes de la politique.