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grande coupable : il faut réformer le régime de la presse ! Et du coup, un des jeunes députés les plus impatiens d’entrer en scène, M. Joseph Reinach, s’est mis à l’œuvre : il a trouvé la vraie réforme, qui consisterait à ramener la presse de la légalité spéciale sous laquelle elle vit, au régime du droit commun, du code pénal.

Que la presse, — une certaine presse, — ait abusé, depuis quelque temps, jusqu’à s’avilir elle-même, de l’outrage, de la diffamation, de toutes les excitations, et que la loi de 1881, celle qui existe encore, ait été impuissante ou insuffisante, c’est possible, c’est même certain ; mais enfin, cette loi de 1881, contre laquelle on s’élève maintenant, qui donc l’a faite ? Que ne disait-on pas, alors, des lois monarchiques et de leurs vaines répressions ! On les traitait avec dédain. La loi nouvelle devait être la charte républicaine de la presse ! La république seule pouvait donner la liberté complète et absolue ! On ne voulait rien écouter. Il paraît, aujourd’hui, que l’expérience a ses amertumes, et les nouveaux réformateurs, effrayés de leur œuvre, cherchant partout protection, ne trouvent rien de mieux que de revenir aux anciennes répressions en les confondant et en les aggravant. Il ne faut pas s’y tromper, en effet : ce qu’on appelle le droit commun, ici, n’est qu’un mot spécieux, une étiquette assez décevante. Le plus clair est que ce retour au droit commun n’a d’autre objet que de rendre au jugement de la police correctionnelle tous les délits de presse. Et quand cette prétendue réforme serait accomplie, qu’en serait-il de plus ? Il y aurait quelques répressions de plus, quelques journalistes condamnés. Ce serait menaçant pour la presse, compromettant pour la magistrature, dangereux pour le gouvernement ; la situation en serait-elle meilleure ? — Le remède des grandes commissions parlementaires ne serait certainement pas plus heureux et plus efficace. D’après les projets qui sont présentés, ces commissions se composeraient de cinquante membres, se recruteraient librement et correspondraient aux diverses administrations publiques. En réalité, elles offriraient moins de garanties que les commissions élues aujourd’hui et elles finiraient par être des comités omnipotens opposés à tous les ministères, annulant le pouvoir exécutif. Ce ne serait pas un remède, ce serait l’aggravation du mal.

On parle sans cesse de raffermir les institutions et ce qu’on propose ne servirait qu’à fausser encore plus ces institutions. On veut remettre l’ordre dans les esprits et on ne trouve rien de mieux que des subterfuges de répression. On parle d’apaiser, d’éviter « les questions qui irritent,  » et on craint d’adoucir la politique qui a allumé les plus vives querelles ; il y a même aujourd’hui des républicains qui prétendent identifier la loi scolaire, la loi militaire, toutes les lois de guerre avec la constitution, en les déclarant inviolables comme la constitution