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peu près nul. » Pareillement, dans ce romantique, il n’a pas eu plus de peine à nous faire voir, si je puis ainsi dire, le vaudevilliste énorme ; et il lui a suffi pour cela d’analyser l’un après l’autre, dans leur suite logique et chronologique, Madame Bovary, l’Éducation sentimentale, Bouvard et Pécuchet. Et dans cet artiste enfin si convaincu de l’unique dignité de son art, aurait-il eu beaucoup plus de peine, s’il l’avait essayé seulement, à nous obliger de reconnaître un « bourgeois, » — je veux dire une espèce d’homme dont l’horizon n’était pas moins étroitement limité que celui même de son Bouvard ou de son Pécuchet ? Il y a de cela quelque dix ans quand nous eûmes l’audace de poser la question, les amis de Flaubert crièrent au scandale, pour ne pas dire au blasphème. On y a répondu depuis lors ; et la réponse ne diffère pas de celle que nous avions proposée.

Ces contradictions, ou, comme il les appelle un peu bien doctement, ces « antinomies u du goût personnel et du tempérament littéraire de Flaubert avec la nature de ses œuvres, M. Spronck les explique par la terrible « névrose, » dont on sait qu’encore jeune, et presque avant d’avoir rien écrit, l’auteur de Madame Bovary ressentit les atteintes. Et je ne l’ai point encore dit, mais c’est l’occasion de dire : non-seulement chez Flaubert, mais chez les frères de Goncourt, chez Baudelaire, chez Théophile Gautier, tout ce qu’il a pu rassembler d’indices ou de symptômes de la « névrose, » M. Spronck les a si soigneusement notés qu’on a pu prendre, et non pas sans raison, ses Artistes littéraires pour un commentaire, pour une application, ou une illustration de certaines théories bien connues sur les rapports du talent et de la folie. Je ne conseille pas aux lecteurs qui voudraient approfondir cette obscure question de s’aider pour cela de l’un des derniers livres auxquels elle ait donné lieu, mais, s’ils sont curieux de savoir ce que le nom respecté de la science peut couvrir de puérilités, alors je les renvoie au livre du professeur Lombroso : Génie et Folie. Critiques ou historiens de la littérature, il est possible que la matière, comme le fait justement observer M. Spronck, ne soit pas de notre compétence ; mais il semblerait résulter de ce livre qu’elle est bien moins encore de celle des aliénistes. Si peut-être ils connaissent l’un des termes du problème, c’est nous qui tenons l’autre ; et nous sommes fort ignorans, je l’avoue, des mystères de la pathologie mentale, mais en revanche ils ne le sont pas moins des exigences de la critique, de l’histoire et de la psychologie.

Quoi qu’il en soit, et sans vouloir examiner si vraiment « la névrose, sous ses multiples aspects, a presque toujours accompagné, comme cause ou comme effet, les grandes surexcitations cérébrales, » ce qui n’est pas démontré, ni peut-être démontrable, — car qu’est-ce que prouvent des statistiques ? l’ingénuité de celui qui les dresse, ou sa