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qu’elle est dans l’œuvre de Gautier ce que Notre-Dame de Paris est dans celle de Victor Hugo : un portail, un vitrail, une rosace, la Danse macabre mise en vers, et un souvenir aussi de Villon, que Gautier sortait alors de lire :


Quand je considère ces têtes
Entassées en ces charniers,
Tous furent maîtres des requêtes
Au moins de la chambre aux deniers…


Mais, après tout cela, il ne reste pas moins que Gautier n’a pas débuté dans la vie ni dans l’art par cette impassibilité dont il est devenu plus tard le théoricien, et dont quelques pièces d’Émaux et Camées demeureront les modèles. Et je sais bien que c’est comme si l’on disait qu’avant d’être parnassien Gautier fut romantique, mais il y a manière de dire les choses, et M. Spronck les a dites ici d’une manière assez ingénieuse.

Plus indulgent encore pour Baudelaire que pour Gautier, M. Spronck n’hésite pas à l’appeler « le caractère peut-être le plus original qu’ait produit notre époque. » N’est-ce pas beaucoup dire ? et l’originalité de Baudelaire n’aurait-elle pas consisté, pour une bonne part, dans son charlatanisme ? Qu’est-ce donc que M. Spronck trouve de tellement original à vivre autrement que tout le monde ; et, si l’on découvre en soi quelque principe morbide, que l’on connaisse pour tel, qu’y a-t-il de si rare à le « cultiver, comme Baudelaire, avec jouissance et terreur, » pour s’en faire un moyen de réputation ou un instrument de vie ? C’est ce que font les monstres de la foire. Il est vrai que M. Spronck lui, voit en Baudelaire, « de tous les écrivains de notre siècle le moins occupé de la réclame et le plus dédaigneux du succès ; » mais, de le dire, cela ne suffit pas, et il faudrait l’avoir prouvé. C’est ici l’un des points ou je ne puis me rendre. Je serai bien vieux, ou je serai devenu un bien plat courtisan de la mode et de l’opinion quand je verrai dans Baudelaire un poète sincère ; et plutôt que de cesser de voir en lui le roi des mystificateurs, on me fera dire que Bouvard et Pécuchet est un chef-d’œuvre d’esprit parisien, de grâce légère, et d’aimable ironie. J’accorde donc seulement à M. Spronck qu’en même temps qu’un mystificateur Baudelaire fut un malade, et peut-être le commencement d’un fou.

En revanche, et après avoir encore une fois relu les Fleurs du mal, avec le livre de M. Spronck sous les yeux, il me semble que je vois mieux qu’autrefois, comment, par quel dangereux prestige, elles ont, depuis une trentaine d’années, séduit et corrompu tant d’imaginations. Je n’en trouve pas les vers moins prosaïques, ni surtout moins laborieux ; quelques beautés ou plutôt quelques curiosités m’y paraissent toujours chèrement payées ; les thèmes habituels m’en déplaisent autant,