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Mais, si je voulais insister, je m’éloignerais trop du livre de M. Spronck, ou du moins je donnerais le change, et l’on ne verrait pas ce que j’en apprécie. C’est qu’étant l’œuvre d’un nouveau-venu, — car je ne me rappelle pas avoir rien lu de M. Spronck, — son livre nous apporte, sur l’auteur des Fleurs du mal ou sur celui de Madame Bovary, le témoignage ou l’écho des opinions et des conversations, comme dirait M. Daudet, du « bateau » qui nous suit. Depuis plus de vingt-cinq ans, en effet, que nous lisions pour la première fois, dans le lourd silence de l’étude du soir, à l’abri d’un Quicherat, les vers de Baudelaire ou les romans de Flaubert, c’étaient alors des contemporains, et ils sont devenus des anciens maintenant : M. Spronck dirait volontiers des classiques. Aussi, quand nous les relisons, quelque effort que nous fassions sur ou contre nous-mêmes, nous avons nos idées préconçues, et notre impression se mélange ou s’altère du ressouvenir des impressions d’autrefois. Mais, historiens ou critiques, s’il nous est arrivé, non pas une fois, mais dix fois, mais vingt fois de parler d’eux, quelles difficultés alors, quelle peine, si nous en reparlons, pour ne pas abonder comme involontairement dans notre propre sens ! Tout change autour de nous, on nous le dit, et nous le voyons bien, et nous sentons que nous changeons nous-mêmes : il n’y a précisément que nos préjugés qui ne changent guère ; et, dans la fuite universelle des choses, nous nous y attachons comme aux plus sûrs témoins de notre identité. De loin en loin, et même plus souvent, il est donc bon que ceux qui nous suivent, nous avertissent ; et, qu’en nous irritant au besoin, ils nous obligent non pas peut-être toujours à refaire nos opinions ou notre siège, mais à revoir les unes et à corriger l’autre. De nouveaux points de vue, qui contrarient les nôtres, nous obligent à trouver de nouvelles raisons d’y persister, plus détaillées et plus démonstratives, ou, au contraire, quelque moyen de les ajuster tous ensemble et de les concilier sous un point de vue supérieur. C’est l’utilité que nous avons trouvée pour notre part dans le livre de M. Spronck. Voilà donc ce qu’on pense aujourd’hui, parmi les jeunes gens, — et M. Spronck est un jeune auteur, du moment qu’il écrit ou qu’il imprime pour la première fois, — de Baudelaire et de Flaubert, de Théophile Gautier et de M. Théodore de Banville. Ou, si M. Spronck était peut-être moins jeune que nous ne le supposons, voici, sur les Odes funambulesques et sur Mademoiselle de Maupin, sur les Paradis artificiels et sur la Tentation de saint Antoine, l’opinion désintéressée d’un homme à qui n’ont pas suffi les opinions des autres, qui s’est fait à lui-même la sienne, et qui se l’est faite pour écrire son livre. Elle vaut la peine d’être enregistrée ; et signalée à tous ceux que l’histoire de la littérature n’a pas encore cessé d’intéresser.

Sur Théophile Gautier, M. Spronck n’a rien dit de bien neuf ni de