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à renverser la barrière que les hommes ont élevée autour de cette partie de l’espace historique, à y faire entrer l’air et la lumière de la pensée scientifique, rien ne prépare mieux la voie à une série de conceptions nouvelles. »

Tout ce christianisme déguisé, modernisé, n’a pas trompé cependant le vieux squire ; il a dit de Robert et de son maître Grey : — Ils s’appellent des libéraux, ils croient être des réformateurs, et tout le temps, ils ne font que jouer le jeu du parti noir. Toute cette philosophie théiste ne sert, en somme, qu’à envoyer de la farine à son moulin.

Mais tel n’est pas l’avis de Mrs Ward. La différence vitale, nous fait-elle observer, entre le théisme et le christianisme, c’est que, comme explication des choses, le théisme ne peut être contredit avec preuves. Au pis-aller, il reste toujours dans la situation d’une hypothèse acceptable pour l’homme de science. L’auteur donne donc, on le sent, approbation pleine et entière à la doctrine d’Elsmere, qui se résume en deux mots : respecter la conscience intellectuelle autant que la conscience morale, selon l’axiome favori de M. Grey : la conviction est la conscience de l’esprit. Il n’y a rien de bien nouveau dans le pseudo-christianisme que professe l’ancien recteur de Murewell ; nombre de gens conservent ce reste de croyance sans avoir jamais songé à en faire la base d’une église à part ; mais chez Elsmere le prêtre subsiste ; il ne peut se contenter d’être l’idole d’un club, il faut que le club devienne secte. Pour cela, il suffira de lui trouver un nom, d’écrire au-dessus d’une porte : The New Brotherhood of Christ, de distribuer aux frères des insignes spéciaux, une plaque d’argent portant la tête du Christ, et de proclamer deux articles de foi, deux articles uniques : — En toi, ô Éternel, j’ai mis ma confiance. — Faites ceci en mémoire de moi. — Ces dernières paroles prononcées au commencement du repas avec la réponse : — Jésus, nous nous souvenons de toi toujours, — représenteront la communion. Quant au service, il sera très simple : un acte d’adoration récité par tous les frères debout, quelque passage de la vie du Christ, lu au point de vue critique et historique, une hymne choisie parmi les sept qui, alternant avec un nombre égal de psaumes, composent tout le rituel, une courte prière recommandant à Dieu l’individu, l’association, la patrie et le monde entier, le Notre Père. Puis Elsmere renvoie son troupeau sur ce mot : — Allez en paix, dans l’amour de Dieu et dans la mémoire de son serviteur Jésus. — La prière doit être reprise et continuée chez soi, devenir une partie de la vie de chaque jour.

Nous ne connaissons pas le tempérament des ouvriers anglais ; chez nous, toutefois, ceux qui ont rejeté les vieilles religions ne se soucieraient pas davantage de cette religion nouvelle ; il faut croire