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lorsque ces assemblées enferment dans leur sein tous les pouvoirs comme la Convention ou lorsqu’elles ont reçu un mandat constituant bien déterminé comme l’Assemblée nationale de 1780, répondant à des circonstances et à des nécessités exceptionnelles, ils sont alors soit des formes révolutionnaires du pouvoir exécutif, comme le comité de salut public de 1703, soit de véritables sections de conseil d’état comme les comités de la première constituante où siégeaient les Mirabeau, les Sieyès, les Talleyrand, les Thouret, les Chapelier et les Treilhard. Hors de ces cas exceptionnels, ils n’ont pas de raison d’être, ils sont une source permanente de conflits avec le pouvoir exécutif, une cause continue d’embarras pour l’assemblée même où ils s’agitent. Puissans pour gouverner ou pour constituer, ils sont impuissans à faire des lois. On peut affirmer qu’ils sont de véritables corps étrangers au milieu d’une chambre purement législative, élue en temps normal et dont l’unique fonction est de légiférer paisiblement en collaboration avec les autres pouvoirs publics.

Instituer de grandes commissions permanentes dans la chambre élue le 6 octobre 1889 serait particulièrement un anachronisme. Rarement pays a été aussi justement las des agitations parlementaires et des crises ministérielles. Or le système préconisé par M. de Lanessan, Siegfried, Bourgeois, Letellier, loin d’éviter le retour des fautes commises par la chambre de 1885, ne ferait que les ramener plus graves et plus nombreuses. Le palais Bourbon ne tarderait pas à se diviser en une dizaine de petits comités de salut public où l’on ne forgerait ni armées ni guillotines, mais où l’on tiendrait en permanence fabrique de candidats ministres et de candidats sous-secrétaires d’état. Ce genre de produit n’est point, on le reconnaîtra, de ceux qui nous fassent défaut. Depuis une douzaine d’années, sa fabrication a pris une extension considérable, et l’énorme stock d’anciens ministres et d’anciens sous-secrétaires d’état dont nos assemblées sont encombrées constitue un de nos plus grands embarras. On ne compte jamais moins de trois ou quatre cabinets en expectative, formés d’avance, prêts à prendre le pouvoir et naturellement à le rendre vacant pour s’y introduire.

Ce n’est donc pas à affaiblir, mais à fortifier le pouvoir exécutif que la chambre doit songer, et c’est dans son désintéressement, dans son esprit pratique, dans sa résolution de rester modestement et laborieusement à sa tâche qu’elle doit chercher les moyens d’aboutir et de laisser d’utiles traces de son passage.


ALBERT DE LA BERGE.