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d’hommes tels que Bossuet, Pellisson, Mézeray, Régnier des Marais. C’est l’utilité qui leur sert de règle : ils sont à mille lieues de toute idée de système ou de dilettantisme. A côté d’eux, quelques esprits plus subtils proposent des finesses qui sont aussitôt repoussées. Ainsi l’académicien Doujat penchait fort pour les distinctions. A l’occasion du mot dauphin, voici le dialogue qui s’engage :

« Je voudrais dauphin, dit Pellisson. — Ne pourrait-on pas, insinue Doujat, apporter ici quelque distinction entre dauphin, poisson, et daufin, homme. — Non, » répond brusquement Régnier.

« On pourrait, dit encore Doujat, retenir le c pour faire différence entre un lict et il lit. — Il faut, reprend Régnier, le c partout où il se prononce ; hors de là, point. — J’en suis d’accord, ajoute Bossuet. Personne n’écrit plus autrement que saint, sainte, droit, toit, effet, préfet, etc. Pour infect, il me semble qu’on le sonne un peu comme à respect. Ainsi je le retiendrais. »

Mais ces mêmes hommes consentent à des distinctions d’orthographe lorsque, entre deux mots primitivement identiques, l’usage a introduit quelque différence un peu profonde et sérieuse. C’est ainsi qu’après discussion ils ont laissé passer dessin et dessein, compter et conter, anoblir et ennoblir.

Ennoblir, j’en doute (Tallemant).

Je doute d’ennoblir (Segrais).

On écrit annoblir. Il a été décidé dans la compagnie qu’anoblir est rendre noble et ennoblir rendre illustre (Doujat).

Je doute un peu d’ennoblir, mais je me rends à l’autorité de la compagnie (Bossuet).

J’appelle ad majus concilium sur la distinction prétendue d’anoblir et ennoblir. Je crois le dernier mauvais (Pellisson).

La distinction a fini par passer, et il n’y a pas lieu de la regretter, puisque la nuance existe dans la réalité.

Une telle manière de procéder est bien éloignée de celle de nos réformateurs. Mais s’il est une vérité qui ressort de ce qui précède et qu’enseigne l’expérience du passé, c’est qu’il est impossible de se tenir à un principe exclusif et unique. Comme ces organes du corps humain qui doivent répondre simultanément à plusieurs fins, l’orthographe est obligée de remplir des conditions diverses, simplicité, clarté, élégance, fidélité à l’usage. On voit d’époque en époque reparaître cet axiome, que l’écriture doit être l’image de la parole. Sans doute elle est l’image de la parole, mais elle est encore quelque chose de plus. Elle doit apporter à la parole un surcroît de limpidité, car nous voyons les mots en même temps que nous les entendons, et le trait complète ce que le son ne fait qu’ébaucher. C’est ne pas faire de l’écriture l’estime qu’il convient, de la mettre sur le rang d’une simple sténographie. Quoique