Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour enseigner les langues étrangères, en figurant exactement la prononciation, et en mettant le témoignage des yeux d’accord avec celui de l’oreille. Ceci n’a qu’un rapport indirect avec la réforme de l’orthographe, et il y aurait erreur à confondre les deux tentatives.

Ainsi qu’on devait s’y attendre, puisque c’est la loi des révolutions, M. Paul Passy a trouvé des imitateurs qui ont outrepassé son système. Il annonce lui-même un traité qui vient de paraître à Lausanne, et qui est ainsi intitulé : « J. Ferrette, Trété d ekritûr fonetik : prœmïêr luœr dœ la sïàs fonetik proprœmà dit, e èstru-màt èdispàsàbl dœ twt rœccrc fîlolojik serïœz, kom dœ 1 àsonïmà regulïo dœ twt làg, etràjer w maternel 3e éd. (40 p. in-8o : Lausanne, Duvoisin, 1889 ; 0 fr. 60.) »

Mais l’auteur, paraît-il, a mêlé des questions qui, pour être voisines, n’en sont pas moins distinctes : « s et œ travaj a rvwar. »

Que faut-il penser de l’école fonétiste ?

Il serait inutile d’invoquer l’histoire et la tradition avec des hommes qui veulent être modernes et dont le désir est précisément de rompre avec le passé. Il serait vain aussi de leur demander ce que deviendraient les vers : la poésie n’est pas ce qui les préoccupe ; on étudiera Corneille et Racine, Lamartine et Musset comme on fait de Sophocle et de Pindare. Mais nous pourrons appeler leur attention sur quelques points qui rendent l’expérience particulièrement difficile et le succès plus que douteux en français.

Il n’est point de langue qui ne sortît défigurée de la main des fonétistes : mais de toutes les langues, la moins propre à subir cette épreuve, c’est la nôtre. Ni l’italien, ni l’espagnol n’auraient à souffrir au même degré. Qu’on veuille d’abord songer à ces lettres finales qui, muettes à certains momens, se font entendre à d’autres : on pourrait les appeler des lettres assoupies, parce que, inertes à l’ordinaire, elles se réveillent à certains momens et reprennent vie dans la phrase. Il suffit de comparer le t dans saint François et dans saint Eugène. Le g final ne s’entend pas dans un sang généreux ; mais il s’entend, et il se renforce même en c, dans un sang impur. On n’entend pas le c dans la locution : jouer franc jeu ; mais on l’entend dans courir à franc étrier. Comment feront donc les fonétistes ? Le mot sera-t-il écrit de deux manières, selon la place où il se trouve ? Il y a des langues qui procèdent ainsi, par exemple le sanscrit ; mais ce ne sont pas les plus claires, ni les plus faciles à apprendre. Ou bien, suivant la méthode de M. Raoux, isolera-t-on les lettres finales quand elles sont perceptibles à l’oreille, de manière à semer l’écriture de caractères qui n’auront l’air d’appartenir à aucun mot ? Notre langue est la plus discrète des langues romanes : elle réduit les mots au strict