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fourni sa part au patrimoine intellectuel de l’humanité, il est jusqu’à un certain point enchaîné par son passé : la solidarité s’impose aux générations nouvelles. Les peuples sans histoire sont, à cet égard, plus libres : c’est la raison aussi pour laquelle on écrit les patois selon la prononciation du jour. Mais les nations qui n’ont pas attendu jusqu’au moment actuel pour paraître sur la scène du monde sentent qu’elles ont des obligations spéciales : gêne ou soutien, il faut qu’elles en prennent leur parti et qu’elles y fassent honneur.


III

Il nous reste à présenter la troisième catégorie de critiques : ceux qui veulent qu’on écrive exactement ce qu’on entend, et rien de plus. On les appelait autrefois les phonographes ; mais depuis qu’Edison a illustré et confisqué ce nom en le donnant à son appareil, — lequel est effectivement et au plus haut degré l’écrivain phonographe par excellence, — force est bien de chercher une autre dénomination pour cette secte de réformateurs. Nous les appellerons les fonétistes. Avec eux, nous allons nous trouver en pleine révolution.

Eux aussi, du reste, ils peuvent se mettre à couvert sous de nobles aïeux. Le plus connu est Louis Meigret, l’inventeur ou le propagateur de plusieurs signes dont nous nous servons encore aujourd’hui dans notre écriture. Meigret disait en 1542 : « Les voix sont les elemens de la prononciation, et les lettres les marques ou notes des elemens… Puisque les lettres ne sont qu’images de voix, l’escriture deura estre d’autant de lettres que la prononciation requiert de voix ; si elle se treuve autre, elle est faulse, abusiue et damnable. »

Jusque-là il se bornait à une profession de foi. Mais six ans plus tard il publie le Treité de la Grammere francoeze, où il applique ses idées et introduit une orthographe de son invention. Cette entreprise, qui était bien d’accord avec l’esprit aventureux du XVIe siècle, trouva des approbateurs parmi les poètes de la Pléiade ; Ronsard, Du Bellay, Bail, y donnèrent leur assentiment. Il faut dire, pour être vrai, que l’écriture phonétique de Louis Meigret passerait à présent pour une écriture étymologique très acceptable. Nous en avons vu d’autres depuis.

Un de ceux dont le souvenir, quoique remontant à plus d’un demi-siècle, est resté le plus vivant, est M. Marie, qui fit scandale, vers 1830, par son Apel o Fransé, et par la publication de certaine lettre d’Andrieux, manbre de l’Aqadémie fransèze, qu’il avait, contre tout droit des gens, transcrite en fonétique :