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profondeur du gîte. C’est pourquoi, dans l’acte de concession, la mine n’est désignée que par le nom ou le numéro des parcelles sous lesquelles elle s’étend : c’est sur le plan terrier qu’on trace son périmètre[1]. Cette propriété foncière où l’élément foncier est l’accessoire, ce domaine souterrain qui ne peut être délimité qu’à la surface de la terre, — autant d’anomalies qui se traduisent, en pratique, par des controverses presque insolubles. A qui, par exemple, appartiendront les couches intermédiaires du sol ? Au concessionnaire de la mine ou au propriétaire de la superficie ? Même question pour la portion du tréfonds située sous la mine. Sera-t-elle rattachée à la concession ou demeurera-t-elle réunie à la surface ? L’État pourra-t-il faire des concessions nouvelles, soit au-dessus, soit au-dessous de la première, et dans ce cas, à qui reviendront les redevances et les indemnités d’occupation ? Il y a quelque cinquante ans que la discussion reste ouverte. Tout cela, pour s’être engagé témérairement dans le labyrinthe des abstractions du droit ; on prétendait créer, on n’arriverait même pas à définir.

Le coup de baguette qui faisait deux propriétés d’une seule ne pouvait rompre les attaches de la surface et de la mine ; la loi les a dissociées sans parvenir à les disjoindre ; comme la nature en ses jours de monstrueux caprices, elle a donné deux têtes à un même corps. Une délimitation plus ou moins exacte, plus ou moins arbitraire, des deux propriétés, — superficielle et souterraine, — les rendrait d’ailleurs distinctes, mais non point indépendantes. Entre des mains différentes, elles demeurent vis-à-vis l’une de l’autre dans un état perpétuel d’assujettissement et de gêne. La surface doit l’accès à la mine ; la mine doit « le support » à la surface. Investis de droits égaux, les deux propriétaires ne peuvent les exercer sans se contrecarrer et se nuire. En minant le sol, on ébranle les constructions ; en construisant, on surcharge le plafond et l’on risque d’effondrer la mine. Va-t-on défendre au « tréfoncier » de creuser pour permettre au « superficiaire » de construire, ou, à l’inverse, mettra-t-on la surface en interdit dans l’intérêt de l’exploitation souterraine ? Question capitale, à laquelle on n’entrevoit pas de réponse satisfaisante, car, quoi qu’on fasse, l’un des deux intérêts est sacrifié forcement. La liberté laissée au propriétaire du sol, c’est l’extraction paralysée ou compromise ; l’interdiction des constructions nouvelles, c’est la surface à jamais dépréciée. Au demeurant, mieux vaudrait encore cette dernière alternative, qui

  1. « L’étendue de la concession sera déterminée par l’acte de la concession ; elle sera limitée par des points fixes pris à la surface du sol et passant par des plans verticaux menés de cette surface dans l’intérieur de la terre à une profondeur indéfinie. » (Loi du 21 avril 1810, art. 29.)