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une science presque nouvelle ; la psychologie politique, c’est à-dire une étude de l’homme considéré comme citoyen et comme capable vde bien gouverner la cité.

Les événemens de 1870 l’atteignirent jusqu’au fond de l’âme et imprimèrent une direction entièrement différente à ses travaux. Que signifiait cet écrasement de la France dont il avait, en des pages si brillantes, montré la prééminence ? Était-ce une chute définitive ? Comment et sous quelle forme de gouvernement allait-elle se relever ? Il crut de son devoir de quitter le domaine paisible des spéculations scientifiques, pour appliquer tout ce qu’il avait de connaissances et de talent à l’étude des problèmes de politique pratique que la gravité des circonstances imposait à tout bon citoyen. Il m’écrivait en juillet 1871 : « J’ai passé tout le temps de ces affreux événemens à Trouville, sans parens, ni amis intimes. On continue à vivre cependant ! Je suis fort élastique, paraît-il, oui, mais la France l’est-elle ? « J’ai la conviction profonde, me disait M. Guizot, que ce pays est impérissable. » — Moi aussi, mais n’est-ce pas du mysticisme ? Sur cette objection, M. Guizot m’a professé une magnifique théorie du mysticisme comme principe de loi… et de conduite. C’est trop de la moitié. »

Quoique très hostile à l’absolutisme, dont il disait « qu’il éprouverait toujours en notre temps cette difficulté suprême, dont se plaignait Fontenelle âgé d’un siècle, la difficulté de vivre, » et quoique républicain de principe, il n’était pas rassuré sur la durée de la république nouvelle. Ce qu’il aurait voulu, c’est le gouvernement attribué à une élite, à une aristocratie dans le sens grec du mot. A chaque instant, dans ses livres, il montre, à grand renfort de citations et de faits, tout ce que lui doit la civilisation. C’est elle, répète-t-il, qui a fait l’éducation du caractère français, au moyen âge ; au XVIe siècle, elle alla au protestantisme et à la Renaissance ; au XVIIe siècle, elle forma la langue et le goût, et au XVIIIe, elle adopta l’esprit de réforme qui aurait accompli la révolution sans ses violences.

Toutefois il voyait clairement qu’on ne pouvait demander le salut ni à cette élite de la nation qui n’était point constituée ni reconnue, ni à la monarchie dont les partisans se divisaient en trois groupes hostiles. Il crut donc devoir défendre la république, comme tant de conservateurs libéraux, M. Léonce de Lavergne, par exemple, dont le vote à Versailles décida l’adoption de la constitution républicaine, et il le fit avec d’autant plus de dévoûment que, dès avant 1848, il en avait été partisan. Voici comment il s’explique à ce sujet : « La sécurité, un produit tout monarchique, est le premier besoin des peuples, parce que la prévoyance est le plus haut attribut des hommes ; mais la monarchie