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opposition momentanément réduite au silence. Aujourd’hui la trêve est finie ! A peine les cortès sont-elles réunies, le ministère se voit plus que jamais pressé et harcelé, assailli déjà d’interpellations, menacé par des adversaires de toute sorte qui semblent décidés à ne pas lui laisser un moment de repos, à profiter de ses fautes ou de ses faiblesses. Le fait est que, dès les premiers jours de la session, la situation ministérielle et parlementaire paraît assez critique à Madrid. Si M. Sagasta, qui s’est montré souvent un temporisateur adroit et heureux, a compté sur l’influence bienfaisante des vacances, s’il a cru que les passions s’apaiseraient, que les dissidences s’émousseraient, que quelques-uns des libéraux qui l’ont abandonné lui reviendraient, il s’est visiblement trompé. M. Martos, l’ancien président du congrès, que le ministère a fait exécuter assez brutalement il y a quelques mois par sa majorité, M. Martos semble plus vif et plus ardent que jamais dans son hostilité. Le général Lopez Dominguez, le général Cassola, qui ont pris position contre le cabinet Sagasta, loin de désarmer, sont disposés à reprendre et à continuer la lutte. Un autre dissident du camp libéral, un ancien ministre, M. Gamazo, sans être un ennemi déclaré, combat ouvertement les projets économiques et financiers du ministère. Les conservateurs, dirigés par M. Canovas del Castillo, restent ce qu’ils sont, des adversaires de principe. Ils ont longtemps évité dans un intérêt supérieur, pour le bien de la monarchie, de créer des difficultés à M. Sagasta ; ils croient aujourd’hui le moment venu d’accentuer leur opposition, et ils sont aidés par un de leurs orateurs, M. Romero Robledo, qui, après s’être séparé pendant quelque temps de M. Canovas del Castillo, vient de se rapprocher, avec ses amis, de son ancien chef pour combattre sous le même drapeau. Conservateurs et dissidens libéraux de diverses nuances se confondent dans une opposition commune et font campagne ensemble. Ils ont engagé le feu dès l’ouverture de la session.

Cette opposition, disent le ministère et ses amis, n’est qu’une coalition incohérente et artificielle qui sera impuissante devant une majorité libérale disciplinée et résolue. Il se peut. Malheureusement, le ministère et son parti ne sont, eux aussi, qu’une coalition, et même cette coalition, pour rester une majorité, est obligée de s’étendre jusqu’à une certaine fraction des républicains, que le chef du cabinet ménage habilement. De sorte que, s’il y a coalition, elle est de toutes parts. On est à deux de jeu, et la situation devient d’autant plus difficile qu’on approche de la fin de la législature, c’est-à-dire des élections. La question est de savoir qui fera les élections, dans quelles conditions elles se feront, si la reine gardera jusqu’au bout le ministère qu’elle a depuis quatre ans, en lui remettant le droit de dissolution, ou si elle appellera d’autres hommes au pouvoir. Au fond, qu’on l’avoue ou qu’on ne l’avoue pas, c’est là toute la question qui s’agite, dans le