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scène de l’Ambigu que de celle du Gymnase, et de feu Castellano que de M. Marais.

Qu’est-ce encore que ce coup de pistolet qui termine la pièce, avec la vie de Paul Astier ? S’il y a des morts qui sont des dénoûmens, il y en a, comme celle-ci, qui ne sont que des expédiens, un moyen de se tirer d’affaire, un fâcheux aveu d’impuissance. A moins toutefois que M. Daudet n’en ait cru l’effet sûr. Car j’admire la complaisance avec laquelle M. Daudet, comme d’ailleurs M. de Goncourt et comme M. Zola, se soumet aux pires conventions d’un art dont ils vont se plaignant que les conventions les empêchent d’écrire des chefs-d’œuvre. Situations violentes, plaisanteries usées, artifices de mise en scène, M. Valabrègue ou M. d’Ennery sont plus habiles à ce jeu : ils n’en abusent pas davantage. Faire faire, par exemple, à M. Marais sa toilette sur la scène, l’y faire se laver les mains, et friser sa moustache, M. Daudet prétendra-t-il que ce soit imiter la vie ? Non ; c’est tout simplement émoustiller la curiosité du parterre, lequel est ainsi fait, qu’on est sûr de l’intéresser en lui montrant des acteurs qui mangent de vrai potage ou qui découpent de vrai gigot. La Lutte pour la vie est pleine de ces inventions pseudo-réalistes qu’on ne pardonne à M. Daudet qu’en songeant combien il a dû souffrir d’être obligé de les y introduire. Il aura cru qu’elles feraient passer ses « hardiesses,.. » en en détournant l’attention.

Malgré tout cela, pourtant, il faut convenir que la pièce n’est pas ennuyeuse ; on l’écoute sans fatigue ; on la suit avec intérêt. Est-ce le romancier dont la juste popularité protège et soutient l’auteur dramatique ? Ou plutôt encore, — ôtez la thèse, oubliez Darwin et surtout Berkeley, rappelez-vous le Nabab et Numa Roumestan, — ne serait-ce pas qu’à défaut d’un vrai drame il y a dans la Lutte pour la vie un roman, un vrai roman, dont l’intérêt vaguement entrevu fait celui de la représentation ? C’est une erreur que la Lutte pour la vie, mais c’est l’erreur d’un romancier. D’ailleurs, la pièce, adroitement mise en scène, est aussi fort bien jouée. J’ai déjà dit deux mots de M. Lafontaine, de M. Marais, de M. Burguet : le premier serait parfait, dans un rôle qui rappelle les romans qu’il écrit, si sa simplicité était moins théâtrale ; je voudrais que le second, s’il le pouvait un jour, cessât de jouer les Marais, qu’il joue bien, mais qu’il joue trop souvent ; et, pour ne pas achever d’étourdir le troisième, je n’ajouterai rien aux éloges dont on l’a comblé, mais je n’en retrancherai rien. J’ai moins aimé que je ne faisais jadis le jeu toujours sûr de Mme Pasca : je l’ai trouvée trop mélodramatique, avec des intonations caverneuses et des gestes excessifs, elle, qui fut la mesure et la sobriété mêmes. Les autres, la maréchale de Sélény, le comte Adriani, et l’aimable M. Chemineau, m’excuseront aisément si je ne dis rien d’eux ni des rôles d’opérette qu’on leur a donnés dans cette sombre histoire.