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REVUE DRAMATIQUE

La Lutte pour la vie, pièce on 5 actes et 6 tableaux, de M. Alphonse Daudet.

Qui dira le pouvoir d’un titre mal choisi ? Si M. Alphonse Daudet avait intitulé son mélodrame : un Scandale dans le grand monde, ou : le Divorce de la duchesse, ou encore, et tout simplement : Paul Astier, nous en eussions parlé, négligemment et obligeamment, comme du Maître de Forges, par exemple, ou comme des Deux Orphelines. Mais il l’a intitulé : la Lutte pour la vie ; et, en le faisant, puisque ces mots expriment une idée, il a voulu prouver quelque chose ; et quelques moyens qu’il en ait pris, ils sont mauvais, s’ils ne prouvent rien ; et, s’ils ne prouvent rien, quoi que l’on puisse dire d’ailleurs en faveur de sa pièce, elle est manquée. Les exigences de la critique se règlent pour une part sur les intentions ou prétentions des auteurs ; et les chutes, en général, sont d’autant plus chutes qu’on tombe de plus haut. Cette vérité banale peut passer pour nouvelle, aujourd’hui que l’intentionisme a envahi tous les arts, et qu’en musique, en peinture, en littérature, au théâtre comme dans le roman, il suffit d’avoir voulu faire quelque chose pour s’entendre acclamer comme si l’on l’avait fait. Nous voyons trop clairement, dans la pièce de M. Daudet, qu’il a voulu faire quelque chose, et qu’il ne l’a pas fait.

Mais aussi, quelle rage a-t-il, — lui, l’auteur de Jack, du Nabab, de Numa Roumestan, de Sapho, l’auteur non-seulement applaudi, mais aimé, — quelle rage de faire du théâtre ? et, n’y ayant réussi qu’une fois en vingt ans, grâce à la musique de Bizet, quel n’est pas son aveuglement d’imputer on ne sait à quelle cabale imaginaire des échecs dont il ne devrait s’en prendre qu’à lui-même ? Pour n’avoir point écrit de romans, je ne sache pas que l’auteur de l’Aventurière ou des Effrontés en ait tenu dans la littérature contemporaine une place moins considérable ; et, si M. Feuillet ou M. Dumas ont également réussi au théâtre et dans le roman, ce n’est pas sans doute une raison pour que M. Daudet y réussisse après eux et comme eux. Il n’a ni l’œil, ni