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ans les pauvres noirs. De tels engagemens imposés à des gens qu’on vient d’affranchir se passent de commentaires.

Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que les Allemands accusaient, il y a très peu de jours, les Anglais de violer le blocus de Zanzibar, d’y importer des armes et d’acheter, à marché ouvert, pour 40 shillings par tête, tous les esclaves mis à la côte. Sauf l’importation des armes, dont les Anglais sont coutumiers, — ils en importaient en Chine étant en guerre avec les Chinois, — il est permis d’émettre quelque doute sur cette monstrueuse accusation d’acheter des noirs à marché ouvert, et, probablement, il n’y faut Voir que le dépit éprouvé en Allemagne à la nouvelle que l’amiral Freemantle avait saisi et mis en pièce un de leurs bateaux, le Néœra.


III

Quoiqu’il en soit, l’Angleterre à Paris en 1814, à vienne au Congrès de 1815, à Vérone en 1822, prit constamment et avec ardeur la défense des noirs opprimés. L’abolition de leur trafic fut la préoccupation constante de ses hommes d’état et de ses philanthropes, réussissant ainsi à obtenir de tous les pouvoirs européens la promesse qu’ils réuniraient leurs efforts. Les prières, les menaces ne suffisant pas toujours auprès de ceux qui se montraient hésitans et de mauvais vouloir, elle achetait leur adhésion. Celle du Portugal fut payée. L’Angleterre offrit la Guadeloupe à la Suède, mais à la condition expresse que celle-ci adhérerait à son programme. Elle donna 10 millions de francs à l’Espagne pour qu’elle ne tolérât plus la traite dans ses colonies des Antilles, et Dieu sait si l’Espagne s’en priva jamais. Elle fit partout et pour son propre compte la police des mers, se déclara la protectrice de tous les noirs. La première, elle défendit que la peine du fouet fût appliquée aux femmes noires.

Les négriers, gens de sac et de corde, car on les pendait s’ils étaient pris, soutinrent dès lors contre les marines de guerre des états antiesclavagistes une lutte à outrance. Ceux-ci établirent partout des croisières qui coûtèrent la vie à des millions de noirs jetés à la mer quand le bateau qui les transportait était serré de trop près par un navire de chasse. Chose monstrueuse, on vit les plus riches armateurs de Boston, de New-York, de Charleston et de la Nouvelle-Orléans se former en société au prix de 5,000 fr. par action pour continuer le trafic défendu. Leurs bateaux partaient ostensiblement chargés de barriques de rhum pour l’île de Cuba, mais cachant à fond de cale de mauvais fusils, des menottes et des fers destinés à la cargaison vivante qu’ils allaient prendre à