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s’aiment et se connaissent depuis longues années. Une personne présente me dit qu’on s’était bien gardé d’éveiller dans le cœur de ces infortunés des sentimens qui eussent pu nuire à l’autorité de ceux qui en disposaient. Le dernier lot se composait de deux enfans, le frère et la sœur : l’un fut vendu à un planteur de San-Iago, l’autre à un colon de l’île de San-Vicente. L’adjudication faite, on sépara les deux petites créatures, qui se regardaient en souriant, comme confuses de l’attention qui s’était portée sur elles, mais sans paraître comprendre qu’elles étaient à l’heure d’une séparation sans doute éternelle.

De telles iniquités, de pareilles infractions aux lois de l’humanité, devaient soulever des protestations indignées chez les nations civilisées. J’ai dit déjà qu’elles avaient été flétries, pour la première fois en France, par des écrivains de grand renom. En Angleterre, en 1780, un membre de la chambre des communes voulut que le parlement déclarât que la traite des noirs était contraire aux lois de Dieu et aux droits des hommes. Un petit et vaillant royaume, le Danemark, prit contre le transfert des noirs par les bâtimens de sa nationalité de sérieuses mesures, et, le premier des états européens, il interdit ce négoce par décret royal. La Convention, comme jalouse de cette généreuse initiative, se hâta de l’imiter. En 1794, les Américains, réunis en congrès, condamnèrent aussi l’infâme commerce ; mais, bien entendu, sans abolir l’esclavage. Celui-ci était pour la marine marchande des ports anglais une source de profits énormes, aussi est-ce chez nos voisins que les plus ardens antiesclavagistes, Thomas Clarkson et Wilberforce au premier rang, Pitt, Fox, Shéridan, lord Grey et le marquis de Lansdowne à la suite, rencontrèrent une violente opposition. De 1787 à 1807, c’est-à-dire pendant vingt ans, à chaque nouvelle session du parlement, Wilberforce déposa une motion d’abolition de la traite. Il triompha finalement, et dès lors, il faut le reconnaître à la gloire de l’Angleterre, les négriers de toute catégorie, de toutes les nationalités, n’eurent pas d’ennemis plus acharnés qu’elle.

La philanthropie des Anglais devint proverbiale, et c’est dans la campagne entreprise par eux contre l’esclavage qu’il faut chercher l’origine du bruit qu’on en faisait. Cette philanthropie a paru parfois bien surfaite et très souvent elle a été accusée de servir de prétexte à des intérêts où l’amour de l’humanité n’avait que faire. Ainsi, au temps des croisières, une partie des cargaisons humaines saisies par nos voisins ne retournait pas dans leurs tribus ; au lieu de leur faciliter les moyens de s’y rendre, on les transportait dans des établissemens de la côte d’Afrique, où des colons anglais, protégés par leur marine de guerre, louaient pour vingt et trente