Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du combat et se dénouent, sans vergogne, au lendemain de la défaite. Dans nos parlemens français, on a vu de petits groupes, formés de politiciens douteux qui louvoyaient sur les confins de tous les partis, vendre leurs votes au moment décisif et devenir, pour quelques heures, les arbitres de la politique. Vous les reconnaîtrez à ce signe, qu’ils se disputent des places au lieu de négocier pour des principes. Ici, rien de semblable. L’appoint des quarante ou cinquante voix que M. Chamberlain apportait en dot au parti tory était précieux sans doute, mais non indispensable. Ce qu’on voulait surtout de lui, et ce qu’il pouvait prêter sans bassesse, c’était son nom, son éloquence, sa puissance populaire, seule capable de balancer celle de Gladstone auprès des masses libérales ; c’était enfin son programme de réformes, plus social que politique, et compatible, par conséquent, avec le vieux credo conservateur. L’emprunt n’était ni illogique, ni immoral ; ce n’était même pas une nouveauté. Deux fois déjà, dans ce siècle, le parti tory s’est retrempé et rajeuni par ces transfusions de principes. Salisbury ne faisait que suivre l’exemple de Robert Peel et de Beaconsfield. Mais c’est à Randolph Churchill que revient l’honneur, — car c’en est un ! — d’avoir préparé cette brillante évolution.

Dès 1885, M. Chamberlain l’avait prévue et prédite. Il s’écriait : « voilà les tories au ministère et les radicaux au pouvoir ! » Les conservateurs, n’ayant pas de programme, devaient fatalement prendre celui de Birmingham : « Ils m’ont volé ma politique, disait-il gaiment à ses électeurs ; me voici nu et dépouillé, jusqu’à ce que j’en invente une autre… qu’ils me voleront encore ! » Il disait dans une autre circonstance : « Jusqu’où iront-ils ? Si je demande la séparation de l’église et de l’état, l’abolition de la pairie héréditaire, la laïcité des écoles, me les donneront-ils ? L’autre jour un membre de la chambre est venu à moi et m’a dit : « Mon cher ami, faites bien attention à ce que vous demanderez : car si vous critiquiez les commandemens de Dieu, Balfour déposerait immédiatement un bill pour les supprimer. »

Ce n’était alors qu’une piquante plaisanterie. Aujourd’hui que ces paroles traduisent l’exacte situation des choses, M. Chamberlain se garderait bien de les prononcer. Il est trop habile pour se vanter de cette dictature impalpable et insaisissable. Mais voyons comment il l’a exercée.

Il n’a pas « critiqué » les commandemens de Dieu, comme beaucoup de ses contemporains, il les pratique sans y croire. Sagement il laisse mûrir le problème de l’impôt progressif et celui de la séparation de l’église et de l’état. Quant à la chambre des lords, dont il réclamait énergiquement la suppression il y a dix-huit ans,